Mouvement pour le Liban

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Les archéologues locaux et internationaux catégoriques : « Les cales phéniciennes de Minet el-Hosn, à conserver à tout prix »

Posted by dodzi sur avril 11, 2012

Libnanews

Par Marie-Josée R.

Dans une déclaration radiodiffusée sur les ondes de la VDL, le ministre de la Culture M. Gaby Layoun, se prononçant sur le dossier de l’hippodrome romain de Beyrouth, avait conclu son discours en affirmant que « lorsque la science parle, ceux qui baignent dans la cohue doivent se taire ». Partant de ce principe, c’est sur la science qu’il est fondamental de se baser, afin de clamer haut et fort la nécessité de sauvegarder les cales de radoubes phéniciennes à Minet el-Hosn, sur le terrain 1398 de Venus Real Estate.

Au plein cœur des controverses sur la sauvegarde du patrimoine libanais, et avec toutes les versions politisées ou pas sur l’hippodrome romain à Wadi Abou Jmil, une volonté de noyer le dossier de l’installation portuaire antique beyrouthine de la part de certains intérêts se fait clairement sentir, pour des raisons que le public ignore.

Étrange silence radio qui se poursuit de la part des autorités, brisé dernièrement par M. Albert Naccache (1) qui a attesté dans la presse libanaise sur un ton catégorique qu’il n’y a « Aucune cale antique sur le site des Venus Towers », expliquant que le résultat des fouilles entreprises par l’archéologue M. Hicham Sayegh, ont mis à jour quatre niveaux, dont le plus vieux remonterait au IVème siècle av. J.-C., et représenterait une carrière de pierre. Encore plus étrange qu’un des membres de la commission désignée par le ministre, reprenne pratiquement les mêmes arguments avancés par les promoteurs de Venus, qui eux, s’étaient basés sur le rapport (inexistant ?) de leur archéologue, qui semblerait être le fameux Hans Curverz. Enfin, l’article de M. Naccache s’avère déjà être une conclusion par lui-même alors que la commission n’a même pas encore publié son rapport final.

Sans trop vouloir s’attarder sur ces allégations, il est grand temps de laisser parler la science. Mme Martine Francis Allouche, spécialiste en archéologie maritime, avait auparavant lancé un appel pour la conservation de ces cales antiques du site 1398, ayant pour but de seconder internationalement le ministère de la Culture ainsi que la DGA pour la préservation de cette installation portuaire in-situ ; elle a également publié un article dans les carnets de l’Institut français du Proche-Orient pour souligner l’importance de ces vestiges et le fait qu’ils soient uniques en leur genre au Moyen-Orient. Mme Allouche a également répondu aux propos de M. Naccache, réponse qui n’a pas été publiée dans sa totalité, et qui est retransmise ci-dessous.

En plus des rapports des archéologues locaux, une pléiade de spécialistes internationaux a mis l’accent sur l’importance du port phénicien découvert à Beyrouth, et la nécessité de sa sauvegarde in-situ, sans altérer ces cales de plus de trente mètres entièrement taillées dans la roche.

– Le professeur Jean Yves Empereur, directeur de recherches au CNRS et directeur du Centre d’Études Alexandrines, a estimé que les cales à bateaux du Ve siècle avant J.-C. au cœur de Beyrouth sont une « découverte unique qu’il convient de préserver et de mettre en valeur, afin que les générations à venir puissent admirer la grandeur des réalisations de leurs ancêtres, les pionniers du commerce maritime en Méditerranée ».

– Le professeur David Blackman, chercheur de l’Université d’Oxford, affirme qu’il n’existe aucun doute sur l’identification de ces cales qui ne sont en aucun cas des carrières, soulignant que leur emplacement et le fait qu’elles soient taillées dans la roche confirment – entre autres – leur usage pour la fabrication et la réparation des bateaux phéniciens.

– Mme Ana-Maria Busila, doctorante de l’Université roumaine de Iasi, et suite à sa visite au site de Vénus, indique, dans le cadre de sa recherche sur la typologie et la fonction des ports durant la période hellénistique et romaine, que les vestiges des cales sèches découvertes sur le site BEY 194 sont une installation maritime phénicienne bien préservée et unique en son genre. Elles sont également les seules découvertes jusqu’à ce jour au Liban, et font écho à celles de Kition à Chypre et Tell Dor en Palestine, sur le bassin méditerranéen.

– Mme Kaliopi Baika, docteur en archéologie maritime, du ministère hellénistique de la Culture en Grèce, confirme que ces cales antiques sont indubitablement exceptionnelles, et insiste qu’il est fortement déconseillé de déplacer ces installations maritimes qui perdraient ainsi leur contact originel avec la mer et leur valeur archéologique.

– Mme Marguerite Yon, Directeur de Recherches honoraire et ancienne directrice de la Mission archéologique française de Salamine et Kition (Chypre) et de Ras-Shamra-Ougarit (Syrie), dans une lettre de soutien aux chercheurs travaillant sur les cales à bateaux du port phénicien de Beyrouth, estime que la découverte de ces vestiges apporte « des réponses aux questions qui se posent dans l’analyse et l’interprétation des récentes découvertes [comme à Kition] (…) et leur conservation doit permettre de mieux connaître les techniques de la construction navale, de l’architecture antique », et assure, ainsi que la communauté scientifique, que ces cales « doivent aussi rester en place pour conserver l’image de ce que fut une des grandes cités portuaires de l’Antiquité de Méditerranée orientale ».

Que dire de plus face aux rapports scientifiques des experts locaux et internationaux ? Sans oublier qu’une copie de la lettre de l’ICOMOS dépêchée au ministère a été diffusée sur le réseau social Facebook, dans laquelle le conseil réclame « d’avantage d’informations sur ce site et son devenir ».

En somme, les sites des cales du port phénicien est menacé dans son intégrité, et suscite encore et toujours une grande émotion dans le milieu de l’archéologie levantine ainsi que dans la société civile libanaise. Une controverse existe actuellement sur ces vestiges mis à jour à Minet el-Hosn. Bien que les rapports scientifiques attestent qu’il s’agit bel et bien d’une installation portuaire phénicienne, certaines voix s’élèvent pour avancer qu’il s’agit de carrières – dédaignant la présence des cales et ne regardant que la carrière qui s’y trouve, certes, sur le site, mais qui remonte à une période postérieure. Pourquoi détruire ou dépecer ces vestiges taillés dans le roc, et prendre le risque de la sorte d’effacer un des rares marqueurs de la civilisation phénicienne, pour ériger un complexe résidentiel privé au coût exorbitant ? À quel prix rase-t-on des sites phéniciens au Liban qui se comptent sur les doigts d’une main ? À quel prix, encore une fois, défigure-t-on notre identité ? N’est-il pas grand temps qu’un réveil citoyen national ait lieu pour mettre un terme à cette mascarade ?

Pour d’avantage d’infos sur le dossier du port phénicien, retrouvez la liste des articles dans le communique Libnanews en cliquant ici
(1) Avec tous le respect que nous devons au Dr. Albert Naccache, il est judicieux de rappeler qu’il est diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Paris, section « Politique et Sociale », et possède un M.S. en Physiologie de l’AUB, ainsi qu’un doctorat interdisciplinaire de l’Université de Berkley, sur l’Histoire du Moyen-Orient. Il aurait fallu que le ministère nomme des spécialistes en archéologie maritime afin de se prononcer sur le dossier d’une installation portuaire. À ceux qui ne saisissent pas qu’il peut y avoir des spécialisations différentes dans le domaine de l’archéologie, allons sur le fief de la médecine : un dermatologue est certes un médecin qualifié dans son domaine, mais ne pourrait jamais effectuer une chirurgie à cœur ouvert …

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