Les scouts du Hezbollah, “l’autre réalité du Liban”
Posted by jeunempl sur janvier 28, 2011
Propos recueillis par Samuel Gontier – Telerama.fr
[Note du MPLBelgique.org: il est rare de lire des articles neutres et aussi balancés que celui-ci, ce genre de reportage qui vous permet d’apprendre à mieux comprendre autrui.]
Sacré choc. Pendant près d’une heure et demie, Bruno Ulmer, déjà réalisateur du saisissant “Welcome Europa”, effectue une troublante plongée au cœur de l’organisation scoute du Hezbollah, au Sud-Liban et dans la banlieue de Beyrouth. A la sortie de la projection au Fipa des “Scouts d’Al Mahdi”, l’auteur livre les clés d’un film “pas facile à faire ni à partager”. Parce qu’il bouscule des certitudes rassurantes.
Ils sont 70 000 scouts, affiliés à l’organisation internationale fondée par Baden Powell. Au programme : feux de camps, cours de secourisme, apprentissage de l’hygiène, devoir de solidarité et, bien sûr, l’intangible devise – « Toujours prêts ! »… Les scouts d’Al Mahdi ne sont pourtant pas comme les autres : ils ont grandi dans un pays en guerre, ils appartiennent à la sphère du Hezbollah, mouvement chiite né en réaction à l’invasion du Liban par les Israéliens en 1982. Bruno Ulmer a filmés ces jeunes au plus près, révélant les aspirations d’une société méconnue, souvent réduite au cliché de l’islamisme, donnant à voir « l’autre réalité du Liban, pas celle des casinos et du front de mer ». Un éclairage salutaire à l’heure même ou le parti chiite vient de prendre le contrôle du gouvernement libanais… Bientôt diffusé sur Arte !
Quelle envie est à l’origine des Scouts d’Al Mahdi ?
Je ne connaissais rien au Liban. Mais j’ai toujours été passionné par les questions de jeunesse et d’identité. J’avais envie de comprendre comment on se construit quand on a 10, 14, 20 ans, à l’intérieur d’une communauté marquée par le poids du politique et du religieux.
En voyant l’incroyable proximité avec laquelle vous filmez les scouts, on se demande comment vous avez réussi à pénétrer un milieu aussi fermé.
Ce fut plus facile que ce que l’on pourrait imaginer. Faire un film sur le Hezbollah lui-même est absolument impossible, mais il est permis de s’intéresser à un groupe qui est dans la sphère du Hezbollah. Car ce n’est pas seulement un parti politique et une organisation militaire : il gère aussi des hôpitaux, des fondations, des associations d’étudiants et, donc, les scouts d’Al Mahdi, qui sont assez autonomes. C’est une tradition au Liban, chaque confession (chiites, sunnites, chrétiens) possède son organisation scoute.
Un film sur la jeunesse était un point de rencontre possible, car cette jeunesse est plus présentable. Les dirigeants du Hezbollah en sont fiers, elle est l’expression de leur avenir. Le Hezbollah s’est construit sur la résistance armée à l’occupation israélienne puis dans la guerre de 2006. Après ce qu’il considère comme des victoires (le retrait israélien et l’issue selon lui victorieuse de la guerre de 2006), il s’attache maintenant à la résistance sociale, politique, morale, en luttant contre les injustices, la corruption et pour des valeurs. Il s’agit de résister à l’humiliation dont sont victimes les chiites, traditionnellement dépréciés par les autres communautés libanaises. Autant de thèmes portés par les jeunes.
Vous choisissez l’immersion, sans commentaire. Ne peut-on vous reprocher de faire la part belle à la propagande du Hezbollah ?
J’avertis en préambule du film : regardez-le comme vous voulez, mais prenons le temps de comprendre que ces enfants ont grandi dans la guerre. Il s’agit d’abandonner son regard d’Occidental. Je ne cherche pas à dire où est le bien, où est le mal, mais plutôt à susciter des questions chez le spectateur.
Le film montre que les scouts sont soumis à l’instrumentalisation de la mémoire, des conflits, du dogme religieux. Mais aussi que, s’ils sont porteurs d’une conscience politique imposée, ils se l’approprient avec une grande force de conviction, une véritable sincérité. Ils sont persuadés de pouvoir combattre par le savoir et l’éducation mieux que par les armes. Même si, quand ils défilent au pas cadencé, on s’interroge forcément : combien de ces jeunes se transformeront en soldats lors du prochain conflit ?
A voir l’endoctrinement des scouts et la prise en charge de l’ensemble de leur existence par leur organisation, on se demande si le Hezbollah ne dirige pas un système totalitaire.
Je ne prétends pas répondre à cette question, mais, même en admettant l’existence d’un tel système, il faut comprendre dans quelle sphère s’exerce ce totalitarisme. La prise en charge du tout répond à une absence de tout : dans les villages reculés du Sud comme dans la banlieue délaissée de Beyrouth, ce sont les organisations du Hezbollah qui gèrent l’accès aux soins, les hôpitaux, l’assainissement, l’électricité, la reconstruction des villages bombardés et l’éducation. Ensuite, si le Hezbollah constitue un Etat dans l’Etat (comme d’autres organisations des autres confessions), avec le souhait de prendre en main l’intégralité de cet Etat, dans son discours, il place le Liban au premier plan, le Liban dans son entier, avec toutes ses communautés. Je ne veux pas faire de politique-fiction mais, pour moi, son éventuelle prise de pouvoir ne signifierait pas forcément la création d’un Etat islamique.
Chez les jeunes, il n’y a plus de références à la Syrie et à l’Iran, soutiens historiques du Hezbollah. On est loin de l’image du kamikaze des territoires palestiniens. Ils défendent des valeurs, leur communauté et, par-dessus tout, la patrie. Et cette patrie, c’est le Liban. Or, les chiites étant démographiquement les plus jeunes et les plus nombreux, l’abaissement de la majorité civique de 21 à 18 ans signifie que ces jeunes vont bientôt porter le pays. Il est donc essentiel de s’interroger sur cette jeunesse en plein bouillonnement.
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