L’Hebdo Magazine – Delphine Darmency
Le paisible quartier de La Sagesse est à l’aube d’un bouleversement sans précédent. Abritant le collège de La Sagesse et l’archevêché maronite de Beyrouth, ses ruelles possèdent encore un charme particulier, les immeubles modernes qui ont réussi à s’implanter étant restés rares. Et pour cause, il y a quarante ans, une partie des bâtisses et jardins du quartier ont été expropriés par l’Etat pour y bâtir la voie rapide La Sagesse-Turk. Ce projet, remis au goût du jour par la municipalité de Beyrouth il y a trois ans, provoque la grogne et la mobilisation de la société civile.
Dans une impasse du quartier de La Sagesse, figé depuis plus d’un demi-siècle, des poules se promènent sans vergogne entre de vieilles bâtisses d’architecture traditionnelle. A travers une fenêtre, une porte, on voit des peintures d’époque et leurs emblématiques triples arcades. Sur leurs murs extérieurs, des croix rouges ne présagent rien de bon, marquées par l’association Save Beirut Heritage (SBH) pour signifier leur démolition future au passage de la voie rapide appelée Fouad Boutros. «Une trentaine de ces maisons seront détruites, annonce Giorgio Tarraf, président de SBH. Alors qu’aujourd’hui dans aucune des grandes villes de la région ou d’Occident, la voiture n’est privilégiée, le projet Fouad Boutros va provoquer des dégâts évidents sur le patrimoine, sur les habitants de la région, mais également d’un point de vue écologique. C’est un crime qu’on regrettera d’avoir commis».
Inspiré des plans du réseau routier pour Beyrouth de l’urbaniste Michel Ecochard dans les années 50, ce projet, resté dans les tiroirs de l’administration, a pourtant été remis à l’ordre du jour depuis trois ans. «Le projet avait débuté juste avant la guerre, explique Elie Hélou, responsable du projet au Conseil du Développement et de la Reconstruction. Le pont à l’intersection de l’avenue Charles Malek et Mar Mitr en avait été le premier ouvrage d’art. Cette voie est une partie du puzzle qui n’est pas encore achevé et qui doit l’être pour désengorger Achrafié». Un axe qui partirait du supermarché Spinneys, avec des embranchements sur Charles Malek frôlant les actuels restaurants et bloquant certaines rues, pour finir sa folle course sur l’avenue Charles Hélou avec un renfort de trois ponts et deux tunnels. Inacceptable pour différentes associations et urbanistes organisés en «Collectif civil».
«Le projet, un coup monté»
«En 2009, Fouad Boutros mettait la première pierre à cet axe La Sagesse-Turk, projeté, pourtant, il y a plus d’un demi-siècle, rappelle Raja Noujaim, membre du collectif. A cette époque, le quartier de La Sagesse n’avait pas plus de vingt ans et une maison était conçue sans une vision de préservation. Mais il ne faut pas réfléchir en termes de bâtiments mais de quartier, nous demandons que l’ensemble de la région soit classée. D’ailleurs, poursuit-il, l’aspect traditionnel n’est qu’un des nombreux points expliquant notre désaccord». Pour le Collectif civil, percer des voies rapides en 2013 dans des quartiers centraux est une «pratique destructrice révolue». Il souligne que ces dernières, au-delà de détruire une identité, un tissu urbain et architectural, ne résolvent les Lire le reste de cette entrée »