La région est en proie à des conflits plus politiques que confessionnels. Explications et perspectives avec le politologue Rudolf el Kareh. Entretien.
Où va le Moyen-Orient ? Dans quelles dynamiques régionales sont intervenues les forces destructrices qui ont succédé aux « printemps arabes »? Remise en perspective historique avec le sociologue et politologue Rudolf el Kareh, professeur des universités, spécialiste du Moyen-Orient et conseiller auprès des institutions européennes.
Daech a pris son véritable essor après le départ des Américains d’Irak…
Comme par hasard. Je ne crois pas au hasard. Ce « machin » -car il n’est ni un Etat ni islamique- n’a rien à voir avec l’islam. Ses idéologues de bric et de broc en sont à vouloir réécrire le Coran, inspirés par certains prédicateurs wahhabites. Le wahhabisme, là est la matrice idéologique. Daech est apparu au moment où il y a eu une convergence d’intérêts américains (notamment au sein du Parti républicain, autour de John McCain), irakiens (du moins de certaines forces politiques liées à Ankara et à certains clans à Ryad), saoudiens et turcs. Sur sa gestation organisationnelle et idéologique, la presse anglo-saxonne a publié des enquêtes minutieuses, notamment sur la prison américaine de Baqa du temps de l’occupation directe de l’Irak. Le général Wesley Clark, l’ancien commandant en chef de l’Otan pour l’Europe de l’Ouest a dénoncé publiquement, en direct sur CNN, les collusions fondatrices, il y a trois semaines.
Quelle est la fonction de Daech dans cette dynamique de fragmentation du Moyen-Orient ?
C’est un formidable épouvantail qui permet toutes les manipulations. Ce genre d’organisation a sa logique interne mais on ne peut les comprendre sans analyser les liens qui les rattachent à des commanditaires privés ou étatiques régionaux ou internationaux. Ce sont des organisations trans-frontières, trans-institutions, transgressant tout, y compris les interdits et les tabous, mais qui agissent dans un espace déterminé à la manière – sans analogie simpliste – des sinistres « Grandes compagnies » du Moyen-Age en Europe. Si vous observez l’idéologie de ces mouvements, tout ce qui est illicite sur le plan des relations humaines devient licite dans le cadre de leurs pratiques. Il est interdit de tuer, de violer, de brûler, de démembrer, eux le font et avec plaisir. Ce qui peut fasciner, soi dit en passant, mais ce n’est pas la seule explication, des jeunes gens sans repères, ayant une vision déformée du texte religieux relayé par des prédicateurs eux-mêmes manipulés. Tout devient acceptable et licite du jour au lendemain. Ils avaient tout, des femmes, de l’argent, ils pouvaient tuer, assassiner. La manipulation est là. Derrière ce type de manipulations, il y a des politiques et il y a des commanditaires. Or le plus souvent, les grands médias focalisent sur les effets du phénomène, ce qui permet d’occulter ce qui se passe en amont, c’est-à-dire la Lire le reste de cette entrée »