L’Hebdo Magazine – Joumana Nahas
Il a 56 ans, il est polytechnicien, mais aussi ingénieur des Ponts et Chaussées, docteur en Anthropologie… et, depuis quelques mois, il a débarqué sans prévenir dans le paysage politique libanais. Notre actuel ministre des Télécommunications, désigné par le Courant patriotique libre, est un homme au parcours jalonné de luttes, un homme intègre et droit jusqu’au bout des ongles. Un homme très réservé aussi, à qui il arrive de stresser lors des séances photo dues à son nouveau poste. Magazine a essayé de percer pour vous les secrets de Charbel Nahas.
11h. Derrière son ordinateur qu’il a du mal à quitter des yeux, le ministre des Télécommunications est pourtant bien décidé à n’éluder aucune question. Le visage avenant, l’attitude bon enfant, ne doivent pas leurrer son interlocuteur: Charbel Nahas est redoutable de précision. Les rares détails concernant sa vie privée seront délivrés au compte-gouttes par un homme de poigne, habitué à ne rien laisser au hasard. C’est que quand on a passé une bonne partie de sa vie à parfaire sa formation, ou plutôt ses formations pour notre ministre, il faut reconnaître que l’on prend le pli de rester aux aguets. Charbel Nahas commence son parcours par un passage chez les Jésuites, à Jamhour, où il reste jusqu’au début des années 70.
Ses années d’école? Rudes, et réglées comme du papier à musique. De 7 à 7 tous les jours, et le samedi jusqu’à 4h. Rien à voir en somme avec les rythmes actuels! Le milieu, très peu mélangé, cloisonné et plutôt restreint aux garçons, laisse peu de possibilités au jeune Charbel de se rebeller. C’est donc un garçon plutôt sage et bon élève qui a fréquenté des années durant les bancs de l’école sans faire de vagues.
Pourtant, Charbel Nahas se remémore avoir participé à quelques mouvements estudiantins, vers la fin des années 60, notamment pour réclamer la mixité à l’école! On ressent chez le ministre une réelle nostalgie au souvenir de ses années scolaires, où, dit-il, les Libanais étaient très optimistes quant à l’avenir de leur pays, où rien ne laissait présager les horreurs qui suivraient.
Premier choc: 1967. «Dans notre milieu, nous avons senti pour la première fois le problème de fond qui nous menaçait, et duquel nous ne sommes toujours pas sortis», raconte le ministre sur un ton soudain grave. C’est que l’homme n’a jamais vécu dans l’indifférence les soubresauts qui ont déchiqueté son pays, même à l’âge de l’insouciance. Il s’est depuis toujours senti très concerné par les évolutions, positives ou négatives du Liban, et son parcours ultérieur prouve bien son amour inconditionnel pour son pays. En 1972, Nahas est inscrit en prépa, à Paris, avec pour objectif de joindre les rangs de la très prestigieuse et très sélective Ecole polytechnique de Sainte-Geneviève. Ses deux années de préparation auront été loin de l’image classique que l’on pourrait se faire d’une vie d’étudiant à Paris. La question amuse même le ministre: «C’était du sérieux! On n’avait pas le temps de nous amuser! Il y avait un concours en plus au bout du compte, donc une certaine compétition avec mes camarades… C’était dur».
A-t-il eu le temps de se faire une bande de copains insouciants? Des amourettes? Motus… Le visage s’empourpre de manière à peine perceptible, et on passe à un autre sujet.
A-t-il souffert d’une attitude de bûcheur, pas très branché parmi les jeunes? Il sourit: «L’étiquette de bosseur? Il y a pire… Non, j’avais mes amis, certains sont même restés depuis l’époque». Quelques mois après son admission en polytechnique, X pour les initiés, Charbel Nahas vit l’horreur des débuts de la guerre à distance. Il n’y croyait pas beaucoup à l’époque. Il se disait, comme tout le monde, que ce serait une question de semaines avant que les choses ne rentrent dans l’ordre.
84-85: l’optimisme finit par céder
Toujours dans l’ambiance optimiste des années 60, l’étudiant, qui cumule les diplômes les plus prestigieux en quelques années, ne s’imagine pas que l’histoire de son pays allait basculer. Jamais il n’a accepté de s’installer en France ou ailleurs dans le monde indéfiniment. Jamais il n’a songé postuler pour un emploi de cadre sup dans une grosse multinationale. Jamais il n’a songé, comme son camarade de classe en polytechnique le Libano-Brésilien Carlos Ghosn, travailler ailleurs qu’au Liban. Même s’il se marie en France à la Libanaise Magida Saba, en 1977, le couple rentre au pays en 1979, à la faveur d’une accalmie.
Le but? «Reconstruire, évidemment!», lance Nahas, presque étonné de la question.
Pourtant, dès son arrivée au Liban, les choses n’ont pas été faciles pour le jeune homme, même bardé de diplômes. Il va apprendre, à ses dépens, qu’on ne rentre dans certaines institutions de l’Etat et dans les projets de reconstruction que si on a des affinités politiques avec les personnes influentes du moment. Il s’occupera quand même des tronçons d’autoroutes Tabarja-Chekka et Khaldé-Jiyé, en même temps qu’il achève sa thèse d’Anthropologie: analyse des discours de la guerre.
En 1980, il travaille en collaboration avec d’autres ingénieurs pour constituer la faculté de Génie de l’Université libanaise. Le projet démarre sur des chapeaux de roue, résiste à l’invasion israélienne de 1982, avant de tomber à l’eau, comme presque tout au Liban, vers le milieu des années 80.
Pour le ministre, en 84-85, l’optimisme a fini par céder. Il ne voyait à l’époque pas du tout le bout du tunnel… Il n’a pourtant jamais approché aucun des mouvements politiques en place, pas même celui du général Michel Aoun vers la fin des années 80 (voir encadré).
Aujourd’hui, le ministre estime que le Liban a une chance unique de pouvoir enfin se relever vraiment, et compte bien mettre toute son énergie et tout son savoir au service de son pays. Quant à ses hobbies tels la gravure, la sculpture ou la peinture, ils vont devoir attendre des jours plus relax: «Je vis un défi excessivement important, il prime sur tout actuellement…». Du sérieux, du travail et de l’efficacité, voilà ce que promet Charbel Nahas aux Libanais.
Ce qu’il en pense
Le 14 février 2005
«Ce fut un grand choc pour tout le monde, évidemment! Les Libanais, comme un ressort longtemps comprimé, ont laissé éclater tous leurs espoirs les plus fous. Nous avons manqué de sagesse par contre. Nous n’avons pas su intégrer le changement de donne internationale à notre avantage. Nous avons, à mon avis, évité le pire de peu… Les institutions qui restaient de l’Etat sont tombées. Il aurait fallu qu’on sache saisir la chance qui s’offrait à nous, mais nous n’avons pas su, malheureusement».
La privatisation des télécoms
«Ce n’est pas un thème en soi! Privatiser quoi dans les télécoms? Tenez, quand on parle de téléphonie mobile. Ce qui s’est passé est très simple: le secteur était privatisé; nous avons rompu le contrat à l’avance, et nous connaissons les conséquences. Mais pourquoi avons-nous voulu étatiser à nouveau le secteur? Parce que cela s’est avéré être une manne, non? Eh bien, cette manne a été malheureusement construite sur le dos du contribuable. Il faut rationaliser le débat autour du sujet!».
Le Budget proposé par la ministre des Finances
«C’est un budget qui, malheureusement, est en continuité avec tous ceux d’une phase qu’on espérait révolue. Il faudrait profiter de ce qu’on a la chance de vivre une paix relativement durable pour le moment pour travailler autrement. On ne peut pas se permettre de continuer avec la même politique économique d’avant. Ce serait rater encore une fois notre chance de changement».
Un froid avec Rafic Hariri
Vers le milieu des années 80, Charbel Nahas fait la connaissance d’un homme dont le nom va changer l’histoire du Liban: Rafic Hariri. A l’époque homme d’affaires seulement, Rafic Hariri inclut Charbel Nahas dans son équipe au sein d’Ogero. L’entente, hélas, ne durera que le temps des roses. Très vite, des différends séparent les deux hommes, notamment au sujet de Solidere.
Nahas n’a jamais jugé opportun que le centre-ville soit géré par Solidere, somme toute une entreprise privée. Charbel Nahas raconte que tout au long du reste de son parcours, il n’a jamais reculé et il n’a jamais accepté de changer de position politique, de se soumettre à l’état des faits, même si cela devait lui valoir quelques gros projets qui lui filent sous le nez. C’est probablement pour cette raison que l’actuel ministre des Télécoms a été approché par le CPL, mais aussi parce que Nahas avait, dès 1998, travaillé en étroite collaboration avec le courant aouniste lors des municipales…
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