Qui se souvient des fusées spatiales libanaises ? Il y a deux ans, comme la plupart de leurs congénères, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, le couple de plasticiens-cinéastes qui s’est fait connaître pour avoir filmé Catherine Deneuve sur la frontière israélienne dans Je veux voir (2008), n’avaient jamais entendu parler de ces engins. Aujourd’hui, ils terminent un documentaire sur le programme spatial qui les fit naître au début des années 1960. Son titre : Une fusée dans l’espace, l’étrange aventure de la conquête spatiale libanaise.
L’histoire est étrange en effet, et passionnante. Elle renvoie à une époque lointaine, pleine d’espoir, celle du panarabisme triomphant, quand la croyance dans la science, dans le progrès, dans la solidarité tiers-mondiste, animait le monde en général, et le monde arabe en particulier. « C’était un moment où l’on pouvait croire dans le changement social, soutient Khalil Joreige. Nous, nous avons hérité d’une autre société. »
Sous la houlette du scientifique Manoug Manougian, un Arménien né en Israël, une équipe de chercheurs de l’université Haigazian de Beyrouth a fait évoluer ses recherches sur la trajectoire vers un programme spatial. « C’étaient des rêveurs », estime Joana Hadjithomas. Après des débuts très artisanaux, les rapides succès de l’entreprise attirent l’attention de l’armée, puis de la nation entière, qui suit, galvanisée, les progrès de cette première fusée du monde arabe.
Peints en rouge, décorés d’un cèdre, les engins, dont les plus puissants atteignent Chypre, sont lancés le jour de la Fête de l’indépendance. Ils montent à la « une » des journaux, créent l’événement à la télévision. Le programme fait la fierté du pays jusqu’en 1967, quand les scientifiques de l’université Haigazian sont sur le point de créer un satellite.
Ce programme est arrêté net après la défaite arabe contre Israël, à la suite de « pressions internationales ». Le panarabisme a entamé son déclin. La radicalisation contre l’Occident et le communautarisme ont pris le relais. Le monde arabe a changé de visage. Et si le programme avait continué ? La question sera posée dans le film à travers une petite uchronie en dessin animé.
A en croire Hadjithomas et Joreige, cette histoire de fusée a été largement oubliée. C’est un timbre qui a attiré leur attention, dans un livre de la Fondation arabe pour l’image, cette institution de Beyrouth qui archive depuis des années la mémoire visuelle du monde arabe. La fusée au Cèdre Lire le reste de cette entrée »