Mouvement pour le Liban

Représentant le Courant Patriotique Libre en Belgique

Hezbollah & Blacklist – Entretien : « l’Europe se ferme beaucoup de portes au Liban »

Posted by jeunempl sur août 5, 2013

Laurent Marchand – Ouest France (Tout un monde)

Didier Leroy - chercheur à l'Ecole Royale Militaire (Belgique)

Le 22 juillet dernier, les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ont décidé d’inscrire la branche militaire du Hezbollah sur la liste noire des organisations terroristes. La raison invoquée officiellement par les 28, ce sont les « preuves » qui selon l’UE montreraient l’implication du Hezbollah dans l’attentat perpétré sur le territoire de l’Union, en juillet 2012, lors de l’attentat contre l’aéroport de Bourgas ayant fait sept morts dont cinq Israéliens. « Il y a des pistes nettes menant vers le Hezbollah », a affirmé le ministre bulgare de l’intérieur. Or, tout porte à penser que c’est autant l’implication de la milice chiite dans le conflit syrien que l’attentat perpétré en Bulgarie qui a pesé sur les débats. La décision a été prise à l’unanimité. Par le passé, malgré les insistances britanniques, cette unanimité n’avait jamais été trouvée. La France, notamment, n’ayant jamais voulu se mettre à dos une des composantes essentielles de l’échiquier libanais.

Le 22 mai, le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, avait explicité ce changement de ligne de Paris. En ne liant pas uniquement la décision française à l’attentat perpétré en 2012 en Bulgarie, mais aussi au conflit syrien. « Compte tenu des décisions qu’a prises le Hezbollah et le fait qu’il a combattu très durement la population syrienne, je confirme que la France proposera d’inscrire la branche militaire… Vous avez vu que le Hezbollah non seulement s’est engagé pleinement en Syrie, mais qu’il a aussi revendiqué son engagement ». Revirement de la position française, donc, mais pour quel bénéfice ?

Pour Didier Leroy, chercheur à l’Ecole Royale Militaire de Belgique et professeur à l’Université libre de Bruxelles, « les désavantages sont beaucoup plus graves que les avantages ». Il a publié en 2012 chez L’Harmattan un ouvrage consacré au Hezbollah (Hezbollah, la résilience islamique au Liban). « L’Europe se ferme beaucoup de portes au Liban » en agissant ainsi. « On augmente le risque de vulnérabilité des contingents de la Finul ». Entretien

La décision des Européens de blacklister la branche armée du Hezbollah va-t-elle avoir un impact ?
Personnellement j’ai toujours considéré le choix de blacklister le Hezbollah comme présentant des avantages bien minces pour l’UE par rapport aux désavantages. D’un côté, on peut penser que ce type d’initiative vise à améliorer les relations diplomatiques et économiques de l’UE avec certains acteurs comme les USA, Israël, et la plupart des Etats du Golfe. En fait, ce sont des acteurs avec lesquels l’UE a déjà de bonnes relations. L’autre point éventuellement positif est de considérer qu’on lutte plus efficacement contre la criminalité sur le territoire de l’UE, vis-à-vis d’individus liés au Hezbollah. Mais, c’est aussi ouvrir une boite de Pandore puisque si on commence à fouiller dans les différents trafics, qu’il s’agisse de voiture, de drogue, ou autre, on va très vite mettre à jour des trafics impliquant des individus liés au Hezbollah mais aussi aux autres partis politiques libanais.

Et les désavantages ?
Ils sont beaucoup plus graves à mon sens. L’UE se ferme beaucoup de portes, quasi toutes ses portes au Liban, en terme d’accès à l’information, de dialogue politique, de projet de coopération internationale et de développement. D’autre part, et c’est selon moi la conséquence la plus grave, c’est qu’on augmente les risques de vulnérabilité des contingents européens qui constituent la Finul, au Sud Liban. Elle est présente sur le territoire libanais depuis 1978, et a été victime tour à tour d’attaques menées par tous les acteurs de la région. Mais ces dernières années, les principaux assaillants étaient des groupes islamistes sunnites, face auxquels le seul rempart constituait l’information, le renseignement humain, émanant de la population du Sud Liban. Une population largement inféodée au Hezbollah. On ne peut pas dire que la sécurité dépendait du Hezbollah, mais il laissait filtrer toute une série d’informations jusqu’aux oreilles des services de renseignement de la Finul. Ce qui a permis de déjouer de nombreuses attaques. Dans ce sens, le Hezbollah, désormais refroidi, peut à la fois fermer le robinet des renseignements, et il ne faudrait pas s’étonner non plus si le nombre d’incident augmentait avec la population du Sud.

Peut-on distinguer au sein du Hezbollah branche politique et branche armée ?

On ne peut absolument pas distinguer. D’où le non sens de cette décision européenne, l’inopérabilité de cette décision. La seule manière d’identifier, en principe, un membre de la résistance islamique, donc de la composante armée du Hezbollah, c’est une fois qu’il est mort. Parce qu’on enterre les combattants en grandes pompes avec des funérailles diffusées à travers les médias du parti. Une fois qu’ils tombent au champ d’honneur, ces combattants de l’ombre deviennent officiellement membre de la résistance islamique. Souvent les membres de leur propre famille ne sont pas au courant.

En fait, le Hezbollah est incontournable. Politiquement, économiquement, sur la sécurité ?
Oui, c’est le parti politique le plus important en terme d’influence sur l’échiquier national. Il a un bloc parlementaire, des ministres qui ont des portefeuilles assez importants comme l’agriculture ou la réforme administrative. La délégation de l’UE au Liban était jusqu’à présent en contact avec le ministère de l’Agriculture dans le cadre de différents projets de développement. Le Hezbollah, ces derniers jours, a été clair sur le fait de voir la composante armée se faire blacklister implique un refroidissement des relations.

Comment se finance le Hezbollah ? Les sources sont nombreuses.
Le grand parrain régional, qu’est l’Iran, verse des sommes assez colossales chaque année. Cela fluctue en fonction des présidents iraniens, mais cela reste une aide incontournable pour le mouvement. Le Hezbollah est progressivement devenu autarcique avec les années, en se développant à plusieurs niveaux sur le plan économique. Mais en contexte de guerre, comme en 2006, le Hezbollah a besoin de son parrain iranien, pour reconstruire les infrastructures etc… Outre l’Iran, les différents trafics (on en trouve une foule dans la presse internationale dès que l’on parle du Hezbollah, des armes à la drogue aux médicaments etc…) sont assez peu vérifiables, en fait. Ce n’est pas le seul acteur concerné au Liban par ces trafics. Plus concrètement, il y a les impôts islamiques qui sont très importants dans le financement du Hezbollah. Depuis 2003, Nasrallah a été nommé par le Guide suprême iranien comme son représentant au Liban. C’est-à-dire que les impôts islamiques prélevés au Liban ne vont pas d’abord à Téhéran pour être redistribué par l’Ayatollah, ils sont prélevés directement sur place. C’est une grosse manne financière. S’y ajoute l’aumône volontaire. Dans toutes les zones d’influence du Hezbollah au Liban on trouve des boites de collecte de fonds, à l’entrée des mosquées, des magasins, etc… Difficile d’évaluer ces flux, mais ce sont des sommes assez importantes à l’échelle nationale, sans compter l’importante diaspora. Il y a enfin un esprit d’entreprise systématique qui caractérise le Hezbollah. On l’a vu au lendemain de la guerre de 2006 où une foule de gadgets ont été créés, à l’effigie de Nasrallah, des objets vendus pour l’économie de la victoire… drapeaux, casquettes, lasers pour projeter le visage de Nasrallah sur les plafonds des boites de nuit de Beyrouth… On est loin de la rigidité antiartistique des talibans…

Quel est le poids démographique du Hezbollah au Liban ?
Les chiffres de la population au Liban sont le plus grand tabou, le dernier recensement officiel date de 1932. Puisque l’équilibre du pouvoir dépend de l’équilibre confessionnel, personne ne dispose de chiffres sérieux pour quantifier telle ou telle communauté. On sait, en revanche, que dans les dynamiques démographiques, la communauté chiite a littéralement explosé ces dernières décennies. La communauté chiite est certainement la plus importante aujourd’hui, on peut parler d’environ 30% de la population. Sur 4 millions d’habitants au Liban. Rappelons qu’il y a 12 millions de Libanais en diaspora. Trois fois plus à l’étranger.

La diplomatie française paraît illisible, notamment vis-à-vis des communautés chrétiennes d’Orient ?
Pour rester sur le choix de placer le Hezbollah dans la liste noire, c’est le volteface de la France, jusqu’ici opposée à ce choix, qui a été la grande surprise dans cette prise de décision.

Pour quelle raison ?
L’argumentation basée sur l’attentat de Bourgas, en Bulgarie, est très peu convaincante. J’ai surtout retenu les balbutiements dans les déclarations bulgares. Rien n’a jamais été clairement tranché dans l’enquête. L’argumentation basée sur la Bulgarie n’est pas du tout convaincante. Manifestement, c’est plus l’engagement du Hezbollah en Syrie qui a été un déclencheur, l’élément qui a fait changé la position de la France.On ne peut absolument pas distinguer. D’où le non sens de cette décision européenne, l’inopérabilité de cette décision. La seule manière d’identifier, en principe, un membre de la résistance islamique, donc de la composante armée du Hezbollah, c’est une fois qu’il est mort. Parce qu’on enterre les combattants en grandes pompes avec des funérailles diffusées à travers les médias du parti. Une fois qu’ils tombent au champ d’honneur, ces combattants de l’ombre deviennent officiellement membre de la résistance islamique. Souvent les membres de leur propre famille ne sont pas au courant.

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