Ghassan Moukheiber: l’Etat libanais est lacunaire
Posted by jeunempl sur janvier 8, 2013

Le refus du cloisonnement
Pour lui, la scène politique est de toute façon beaucoup plus complexe que celle que les médias présentent, avec cette dichotomie entre 8 et 14 Mars qu’il qualifie de « simplisme politique ». « Je fais partie du bloc du Changement et de la Reforme, mais je refuse l’etiquette du 8 Mars qualifié de ‘pro-Syrien’, car, n’oublions pas que, bien avant l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri en 2005, j’œuvrais avec mon oncle, le Dr. Albert Moukheiber, pour le retrait des forces syriennes du Liban ; en 2005 j’ai participé au mouvement du 14 Mars dans ce même objectif et je me suis ainsi positionné contre les groupes du 8 Mars qui invitaient la Syrie à rester au Liban. Toujours souverainiste jusqu’au bout, » affirme-t-il .
En fait, une seule chose compte pour Ghassan Moukheiber: l’action utile pour la construction de l’Etat. « Je demande à être jugé sur mon action en tant que député. Je fais des choses que j’estime utiles sur le moyen et long terme. Le court-terme quant à lui est marqué par des querelles de pouvoir, » dit-il, expliquant que l’utilité d’un député passe par son travail au Parlement. Et Ghassan Moukheiber est un sacré bosseur. Il a commencé dès 2002 par s’engager sur un réel programme politique, chose suffisamment rare au Liban pour être soulignée: « Ce programme était dès cette époque mon seul outil de campagne ». Il y parle, entre autres, du rapport entre éthique et action politique, de la collaboration entre politique et société civile, mais aussi des droits de l’homme (M. Moukheiber est le principal animateur de la rédaction d’un plan d’action nationale pour les droits de l’homme, un document de 200 pages publié en décembre 2012). Dans la longue liste de ses travaux, il y a aussi plusieurs propositions de lois contre la corruption et un guide de systèmes de déontologie parlementaire, déjà traduit en six langues. (On peut consulter ici ses différentes positions et opinions)
Etat lacunaire, Parlement défaillant
Bref, Ghassan Moukheiber est un député extrêmement actif qui se démarque nettement de bon nombre de ses confrères dont il n’hésite pas à dénoncer l’absentéisme au Parlement. « Seulement une quinzaine de députés travaillent vraiment au Parlement. La plupart des députés sont beaucoup plus occupes par les médias, les services et les responsabilités sociales que par le travail parlementaire » affirme-t-il.
D’une manière générale, la défaillance du Parlement inquiète profondément M. Moukheiber. « Le Parlement n’est plus le lieu du contrôle du législatif sur l’exécutif. Il n’est plus l’endroit où les politiciens peuvent se retrouver pour discuter et dialoguer. C’est une catastrophe car dans un Etat, le lieu du dialogue, essentiel à la démocratie car outil de résolution pacifique des conflits, c’est justement le Parlement. Le rôle d’un député, c’est précisément de dialoguer, et de dialoguer, au Parlement » dit-il, précisant que « depuis 2005 il n’y a eu qu’une seule séance de débat de politique générale. » Il affirme avoir déposé depuis 2003 une proposition de loi modifiant profondément le règlement Intérieur du parlement afin d’en rendre l’action plus efficace; proposition hélas jamais adoptée par les majorités ni les oppositions successives.
Et selon lui, le Parlement n’est pas la seule institution à ne pas fonctionner. C’est l’ensemble de l’Etat libanais qui ne marche pas. Dans ses prises de paroles, Ghassan Moukheiber qualifie souvent l’Etat libanais de « lacunaire ». « Le fonctionnement de l’Etat libanais est comme un panier en osier qu’on voudrait remplir d’eau » dit-il. L’un de ses plus grands problèmes, « la corruption : dans un pays où elle est structurelle, où depuis plus de six ans, il n’existe ni budget, ni gestion saine de ‘fonds publics’ … juste des ‘fonds à disponibilité’ des oligarques pour leurs clients. »
La construction de l’Etat: un puzzle à compléter
Quand on parle de l’édification de l’Etat, on compare souvent le processus à la construction d’une pyramide avec ce que cela comporte de difficultés dans la détermination des priorités. M. Moukheiber propose une autre image: celle du puzzle. « Dès que je produis une pièce, qu’elle qu’en soit son importance ou son degré prioritaire, je la place ayant à l’esprit le plan d’ensemble de l’Etat à construire. » Cette image permet de ne pas rester bloqué sur la question de savoir « par où commencer », une question obsédante, face à tant de lacunes à combler. Car oui, par où commencer? La sécurité? La corruption? L’institutionnel? L’éducation nationale? La protection de l’environnement? L’électricité? Les droits de l’homme? La loi électorale?
La proportionnelle: une vraie représentativité, et la fin de l’emprise des oligarques
Justement, concernant la loi électorale. Pour M. Moukheiber, c’est la proportionnelle qui garantit une réelle représentativité des citoyens au Parlement, avec un découpage en15 districts. Toujours selon le député, ce serait aussi le seul régime électoral qui permettrait d’échapper à l’emprise des « oligarques » sur la gestion de l’Etat tout en assurant une bonne représentativité. Les oligarques, ce sont tous ceux qui composent ce que Moukheiber qualifie de « conseil d’administration du Liban confessionnel ». Ce sont les grands leaders communautaires, et les grands chefs de partis qui se les accaparent. Plusieurs membres de ce « conseil d’administration du Liban » suivent eux -mêmes les agendas d’autres puissances régionales ou internationales. Et les dysfonctionnements de l’Etat et du Parlement leur profitent bien. « Si les institutions n’étaient pas défaillantes et corrompues, la situation leur échapperait et leurs intérêts privés ne seraient plus préservés, » précise Moukheiber, chez qui l’on perçoit aussi une foi dans la capacité du pays à s’édifier. On critique parfois son optimisme, en lui prêtant un certain idéalisme. Il nuance : « Pour faire ce que je fais, il faut l’optimisme de l’action et le pessimisme de la réalité. Et surtout, être convaincu de l’utilité de ce que l’on fait. »
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