Livre – Toufic Youssef Aouad : « Les meules de Beyrouth »
Posted by jeunempl sur décembre 24, 2012
Mort en 1989 dans un bombardement à Beyrouth, Toufic Youssef Aouad fut longtemps considéré comme le chef de file de la littérature libanaise. Ancien diplomate, il fut également professeur de langue arabe à Damas avant de créer son propre journal, politique et littéraire au Liban, Al-Jadid. Les meules de Beyrouth, paru en 1973 au Liban, est son second livre traduit en français.
C’est un roman sur son pays. Il dresse, ainsi, un tableau saisissant de la société libanaise deux ans avant le déclenchement de la guerre civile. Prenant pour cadre Beyrouth, « juvénile et dévergondé » selon les mots de Régis Debray lors de son séjour au Proche-Orient, il met en scène les amours contrariées de Tamina et Hani et avec eux les désirs irrépressibles d’une société cloisonnée. A travers cette relation amoureuse, Toufic Youssef Aouad fait le portrait d’un pays rêvant d’émancipation mais enlisé dans les traditions. Les meules de Beyrouth préfigure l’histoire contemporaine du Liban ; roman prophétique tant les tensions communautaires décrites trouveront un exutoire particulièrement tragique.
L’œil attentif de l’auteur met en lumière les diverses aspirations de la société libanaise dans les années soixante, en particulier au sein de l’université. En effet, ces années fastes au niveau intellectuel, vont se traduire par des mouvements étudiants remettant en cause les autorités religieuses et politiques. A ce tumulte social s’ajoute la présence sur le sol libanais de fedayins palestiniens.
L’atmosphère du récit est pesante ; les tensions sont exacerbées, les bombardements israéliens sur les civils fréquents et les manifestations brutales. Un pays où l’armée tient le haut du pavé face à des étudiants le plus souvent désarmés mais tenaillés au corps par l’esprit de révolte. « La guerre de Juin 67 a révélé nos tares, nous autres arabes, et des gouffres entre ceux que disent nos lèvres et ce que font nos mains. Entre nos repaires sur terre et l’envol de l’histoire vers les astres ».
L’écriture de Toufic Youssef Aouad est singulière. Il n’hésite pas à emprunter, des chemins poétiques s’écartant ainsi d’une écriture classique. Doit-on cette singularité à son origine orientale ? Sans nul doute, la tradition orale du Liban et des pays du Proche-Orient a contribué à façonner ce style chez de nombreux écrivains.
« Nous louons tous nos âmes madame.
Nous les louons contre n’importe quoi, tout ce qui souffle et rampe.
Aux insectes et aux vers comme aux fauves.
Aux sangsues de l’envie et de la luxure, nous les louons.
Au crapaud croassant du fanatisme et aux cigales des traditions.
Aux loups trompeurs, happeurs d’argent et de femmes »
Le récit s’articule sur la rencontre soudaine entre deux personnes aux horizons éloignés. Des sentiments amoureux vont naître entre Tamina et Hani ; elle, de confession chiite vient d’un village, Mehdiyyé, mais rêve d’intégrer l’Université de Beyrouth ; lui, d’origine chrétienne, est déjà étudiant. Le choix de l’auteur, nullement anodin, révèle l’amour de son pays qu’il espérait comme une mosaïque de communautés respectueuses entre elles.
Eprise de liberté, Tanima succombera au charme de Ramzi Raad, héros de la révolution étudiante. Leur culture différentes, la pression familiale, en particulier du frère de Tamina vont constituer un écueil à leur passion. Le récit endosse ainsi les traits d’une tragédie classique. A travers Tamina, c’est la condition féminine dans les pays arabes que questionne l’auteur.
Le récit mélange l’intimité des personnages et leur vie sociétale avec toujours une délicatesse dans l’écriture. Les meules de Beyrouth apparaît comme la re-découverte d’un auteur et de son style. Il permet de se plonger dans les affres d’une société libanaise prêtes à imploser. Enfin, il sert de témoignage, auprès des jeunes générations du monde arabe, des espoirs de leurs parents.
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