Rugby Union – Alex Jammal : « Nous avons de la peine à trouver des sponsors »
Posted by jeunempl sur décembre 19, 2012
Abdullah Ali Jammal, le président de la fédération libanaise de Rugby Union (qui comprend le rugby à XV, X et VII mais pas le rugby à XIII), a dédié toute son existence ou presque au rugby… et surtout au Liban. Car s’il a vécu la majeure partie de sa vie au Royaume-Uni, Alex – comme il se fait appeler – n’a jamais oublié son pays d’origine. Or que faire pour la Mère Patrie quand on vit à des milliers de kilomètres de celle-ci?
Alors qu’il évolue dans un club londonien de rugby Union et qu’il a une situation professionnelle tout à fait confortable, le MONSIEUR ovalie du Liban plaque tout en 1996 et revient vivre parmi les siens au Pays du Cèdre.
Mais ce patriote convaincu et excellent rugbyman n’est pas venu les valises vides, puisqu’il nous a importé de Londres le «beau jeu». Au début de l’aventure, il est pratiquement le seul sur le territoire à pratiquer ce sport, encore inconnu chez nous. Toutefois au fil des années, à force d’acharnement, de courage et de patience, il parvient à créer une fédération de rugby -la Lebanese Rugby Union Federation-, une équipe nationale et même un championnat depuis peu.
S’il n’est plus un sport inconnu, le rugby reste néanmoins toujours méconnu au Liban. La route qui le sépare de la popularité d’un ballon orange ou d’un ballon rond semble longue et semée d’embuches. Le président de la «fédé» de rugby Union s’est confié à RPLFrance.org pour parler des difficultés de l’ovalie en terre libanaise et de ses visées. Mais aussi pour sortir de son isolement médiatique.
Conscientes que toutes les disciplines méritent une fenêtre médiatique, les rédactions du RPLFrance.org et du MPLBelgique.org couvriront le rugby libanais.
Mohamad Ezzedine : Quand est né le rugby au Liban?
Alex Jammal : Au début de l’aventure en 1996, il n’y avait pas de joueurs de rugby au Liban. Petit à petit le jeu s’est développé grâce à la présence de la FINUL, surtout grâce aux forces fidjiennes et irlandaises. Et depuis cette saison, il y a une équipe nationale féminine de rugby à VII. Il faudra peut être encore quelques années pour pouvoir former une équipe de XV féminine.
ME : Depuis quand avons-nous un championnat national de rugby à XV ?
AJ : Le championnat du Liban a vu le jour en 2009 mais le premier match fut disputé en 2010. Comme chaque saison, les matchs du championnat et de toutes les autres compétitions du rugby à XV se disputent à Bhamdoun et Sin el Fil. En plus du championnat national de rugby à XV (le Club XV), la fédération organise également la coupe des universitaires en rugby à VII (l’Eden Park Seven Students Competition) et la coupe inter-scolaire de rugby à X (School Rugby 10s), sans oublier le tournoi international de Beyrouth de rugby à VII.
ME : Qui selon vous va remporter le titre du Club XV cette année ?
AJ : Le favori est Jamhour, mais en tant que président du Beirut Club, j’espère que mon équipe gagnera.
ME : Avez-vous vous-même pratiqué le rugby? Ou le pratiquez-vous encore?
AJ : J’ai vécu les ¾ de ma vie en Angleterre, c’est là bas que j’ai commencé la pratique du rugby et ce, depuis ma plus tendre enfance. Cela fait plus de 45 ans que je joue au rugby. Aujourd’hui, j’évolue au sein du Beirut Total Phoenician club dont je suis le président en plus d’être le président de la fédération libanaise de la discipline.
Une chose est sure, Alex Jammal dépense beaucoup d’énergie, de temps et de moyens pour inscrire ce sport dans les pratiques de la jeunesse, au même titre que le sont actuellement le basket-ball et le football. Le Rugby Union est donc un sport neuf au Liban, né après la guerre, et qui progresse peu à peu. Mais aujourd’hui, qu’en est-il ?
ME: Comment faire pour jouer au rugby au Liban?
AJ : Ceux qui souhaitent jouer au rugby à XV peuvent me contacter grâce au groupe Facebook de la LRUF ou bien par le biais du site de la fédération où sont affichées mes coordonnées. Les quatre derniers mois, nous avons ainsi été contactés par 10 joueurs libanais de l’étranger évoluant en Angleterre, en France, en Espagne ou en Australie. Certains d’entre eux sont même venus jouer avec l’équipe nationale.
ME : Y a-t-il des joueurs professionnels au Liban?
AJ : Tous les joueurs sont amateurs.
ME : Combien d’équipes évoluent dans notre championnat ? D’où proviennent-elles (universités ou clubs sportifs) et est-ce répandu dans tout le Liban ?
AJ : Il y a quatre clubs dans notre championnat: Beirut Total Phoenicia ou Beirut Club; Grey Wolves; Jamhour; L’union Ahed et Ray. A partir de janvier l’équipe syrienne des Zénobians viendra disputer un match par mois contre les équipes du championnat libanais.
4 équipes composent donc le championnat national de rugby à XV, c’est le minimum requis par la fédération asiatique de Rugby Union.
ME : Le rugby à XV est exclusivement cantonné à Beyrouth, il n’y a pas de formations au Sud, au Nord ou dans la Bekaa…
AJ : Malheureusement il n’y a pas d’équipes issues des autres régions du pays. C’est une question de culture car le rugby est encore loin d’être populaire au Liban. Moi, Sudiste, je souhaite bien sûr implanter la discipline dans ma région natale mais j’avoue que ca me paraît difficile. Par exemple, quand nous jouons au stade municipale de Tyr contre un contingent de la FINUL, il y a plus de chars de l’Armée que de joueurs sur le terrain pour des raisons de sécurité.
ME : Quelles sont les stars actuelles du championnat ?
AJ : Par le passé, nous avons surtout compté sur la vieille génération, autrement dit la mienne. Maintenant au contraire, nous essayons de nous concentrer sur la jeune génération et sur les étudiants des écoles. C’est dans cette optique que nous allons prendre part à l’Asian School Games.
ME : Est-ce que tous les joueurs du championnat connaissent les règles du jeu?
AJ : Malheureusement une très grande majorité des joueurs ne connaissent pas totalement les règles du rugby. Il reste beaucoup de travail à faire.
ME : Les entraineurs sont-ils tous Libanais ou bien faites-vous appel à des étrangers?
AJ : Ils sont tous Libanais mais l’International Rugby Board (IRB) a envoyé des formateurs pour former des entraineurs et des arbitres. Une prochaine séance de formation est prévue en février. De plus, nous pensons faire appel à des arbitres étrangers pour jouer des matchs de manière plus saine. Car sur 30 joueurs sur le terrain, vous avez fréquemment une vingtaine de joueurs qui rouspètent continuellement contre les décisions de l’arbitre simplement parce qu’il est Libanais. Cela va nous couter 500 dollars par match, les joueurs sont donc appelés à mettre la main à la poche.
Tout cela démontre que ce sport se professionnalise peu à peu. Néanmoins, malgré la croissance du rugby à XV au Liban, ce dernier reste encore moins connu que le rugby à XIII. Qu’en pense notre interlocuteur ?
ME : Quelles sont les relations avec vos frères ennemis du rugby à XIII? Des joueurs ont-ils déjà fait le choix de passer du rugby à XV au rugby à XIII (ou vis versa) ?
AJ : Je peux vous citer Robin Hachache, un treiziste qui joue dans les deux championnats. 5 treizistes ont participé avec le XV du Liban au dernier championnat d’Asie des 5 nations (A5N) de quatrième division. A vrai dire, une vingtaine de joueurs de XV évoluent au sein du championnat de rugby league. C’est pourquoi j’essaie de m’adapter au calendrier du championnat du XIII. Mais malheureusement, les instances du XIII ne veulent pas coopérer avec nous. Je leur ai même soumis l’idée de créer un championnat mixte qui regrouperait les clubs de rugby Union et ceux de rugby League mais ils n’ont rien voulu savoir.
Bien que plus populaire au Liban, le rugby à XIII a peur de coopérer avec nous, car il sait pertinemment que le XV aura in fine plus d’audience. Ce n’est pas pour rien que trois universités se sont déjà retirées du championnat des universités de Rugby League, car dans le rugby à XIII au Liban on encourage les coups violents.
Toutefois, nous encourageons volontiers nos joueurs à aussi pratiquer le XIII, alors que nos homologues du XIII l’interdisent formellement, ils vont même jusqu’à menacer leurs joueurs de bannissement du championnat.
Le Liban, jeune nation du Rugby Union, avance pas à pas… mais qu’en est-il de son avenir sur la scène internationale ? L’Asie n’est certes pas le continent le plus concerné par le rugby en général, mais notre pays devrait pouvoir cotoyer les plus grandes nations asiatiques dans un avenir proche.
Preuve que l’implication de treizistes (résultats d’intiatives personnelles jusqu’à présent) est porteuse de résultats positifs… au mois de novembre dernier, l’équipe nationale de rugby à VII emmenée par son capitaine Karim Jammal, est rentrée vainqueur du championnat d’Asie de l’Ouest disputé aux Emirats Arabes Unis. De bon augure en vue des phases qualificatives pour les Jeux Olympiques de 2016 à Rio de Janeiro.
ME : Avons-nous des stars à l’étranger? Si oui, lesquelles et sont-elles prêtes à représenter le Liban ?
AJ : Il y a quelques temps, l’ex-entraineur du Stade Français Paris (l’un des clubs les plus titrés en France), un Australien d’origine libanaise qui entraine aujourd’hui en Australie, nous a proposé son aide en favorisant l’envoi de joueurs d’origine libanaise pour le XV libanais. Même si la fédération libanaise de rugby à XV privilégie plutôt les joueurs locaux, les Libanais de l’étranger qui souhaitent jouer pour leur pays seront accueillis à bras ouvert.
ME : Est-il envisageable un jour que les joueurs du XIII filent un coup de main à l’équipe nationale de rugby à XV (et vis versa) comme c’est le cas parfois ailleurs dans le monde?
AJ : Si seulement ils acceptaient de coopérer, le Liban aurait une excellente sélection nationale.
ME : De quoi a besoin le rugby à XV libanais pour se développer ? Existe-t-il un plan de développement?
AJ : On a de la peine à trouver des sponsors; seul Eden Park nous aide un peu. Depuis 2009, nous avons dépensé 450.000 dollars et malheureusement l’État ne nous a octroyé que 15.000 dollars, autant dire rien du tout. Cette saison nous n’avons pas eu d’autre choix que de diminuer notre budget qui n’est plus que de 70 000 dollars.
Au Liban, le rugby n’est pas populaire, au contraire du basket-ball et du football. Chaque année le Ministère de la Jeunesse et des Sports dispose d’un budget de 1.500.000 dollars. Or, le Ministère octroie 800.000 dollars au Basket-ball, 300.000 dollars au football… Il ne reste alors plus qu’environ 200.000 dollars à partager entre 35 fédérations.
Et comme nous n’avons pas de stades de rugby, nous sommes contraints de jouer dans des stades de football. On a besoin de 10.000.0000 de dollars rien que pour acheter un terrain sur lequel construire un stade de rugby. C’est impossible.
D’après Alex Jammal, le terrain synthétique de Ahed pourrait néanmoins devenir la solution la plus durable pour la pratique du rugby, surtout en saison hivernale, car les autres terrains souffrent et rendent la pratique du jeu plus difficile.
ME : Mais la fédération asiatique ne vous aide pas?
AJ : Quand nous n’étions qu’une simple association au sein de la fédération asiatique, celle-ci nous octroyait 500 dollars par an, autant dire une misère. Aujourd’hui que nous sommes membre permanent, nous attendons de voir combien nous allons percevoir. Mais nous n’attendons pas de miracle d’autant plus que HSBC le principal sponsor de la fédération asiatique va diminuer son financement à la fédération asiatique.
Chaque voyage nous coute 35 000 dollars et personne pour nous aider, à l’exception de quelques sponsors et personnes dévouées.
Voilà de mauvaises perspectives financières, mais qu’en est-il des perspectives sportives ? D’après les dernières évolutions, la voie du succès sportif semble tracée. La suite de l’interview nous aide à comprendre les prochains défis de la fédération de Rugby Union, et pourquoi pas se mettre à rêver.
ME : Quels sont les objectifs de l’équipe nationale à court-terme (2 ou 3 ans) ? Et à long-terme? Quel groupe mondial vise-t-on?
AJ : Le Liban est désormais membre permanent de la fédération asiatique de la discipline. On est en 4e division asiatique, notre objectif pour l’année à venir est de monter en division supérieure, malgré nos défaites en finale face au Qatar les deux dernières années.
Cette saison, on a trois rendez-vous importants : les Jeux d’Asie de l’Ouest en Iran, les Asian School Games en mai et l’Asian Youth Games en août en Chine.
ME : Le Liban peut-il devenir un grand d’Asie à l’instar du basketball?
AJ : Le Liban est aujourd’hui le plus fort en Asie de l’Ouest. Mais on ne peut rivaliser avec des sélections asiatiques composées uniquement de naturalisés comme c’est le cas du Qatar et des Emirats Arabes Unis (EAU).
Si l’IRB (International Rugby Board) ne change pas les règles, qui permettent à une équipe nationale de sélectionner autant de joueurs étrangers en son sein pourvu qu’ils jouent dans le championnat local plus de 3 ans, le Liban ne pourra jamais tutoyer les sommets de l’Asie et encore moins prétendre à une place en Coupe du Monde. Pour disputer les qualifications de la Coupe du Monde, il faut en effet être en 1ere division asiatique, or le Liban est aujourd’hui en 4e division.
Par exemple les EAU sont en 1ère division car l’équipe est composée exclusivement d’étrangers. C’est pourquoi, comme en témoigne notre dernière demande auprès de la fédération internationale de Rugby Union, nous proposons de changer la règle de l’IRB qui permet à une équipe nationale de sélectionner uniquement des étrangers. C’est le même problème rencontré par toutes les petites fédérations en Asie. Nous voulons que l’IRB adopte les règles olympiques qui ne permettent pas de sélectionner des étrangers dans l’équipe.
ME : Le Liban a-t-il même les capacités pour organiser une compétition internationale, arabe ou asiatique?
AJ : Techniquement nous pouvons organiser une compétition internationale mais cela coûterait extrêmement cher à la fédération. Nous souhaitons inviter la Nouvelle-Zélande ou l’Australie à venir jouer chez nous, mais là aussi ça coute trop cher. Toutefois, je peux vous certifier que des sélections comme les All Blacks et les Wallabies préfèrent jouer au Liban plutôt qu’a Dubaï.
Peut-être est-ce là le moyen le plus efficace pour inviter les Libanais à s’intéresser en masse à ce sport.
Le rugby possède cette innocence qui peut parvenir à fédérer une nation entière derrière elle, en partant de sa riche diaspora présente dans les nations phares du rugby, en terminant au Liban, pratiqué par la jeunesse dans toute sa diversité.
Quoiqu’il en soit, après cet entretien, nous sommes convaincus que la persévérance et l’endurance d’Alex Jammal porteront leurs fruits dans un avenir proche. Nous lui souhaitons, ainsi qu’à ses collègues à la fédération et aux joueurs, une brillante réussite. Notre équipe se fera un plaisir de suivre les différentes échéances qui attendent nos héros du rugby.
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