L’imaginaire caserne des pompiers de Beyrouth
Posted by jeunempl sur novembre 24, 2012
Firas Choufi – Al Akhbar
Traduit par MPLBelgique.org
[Note du MPLBelgique.org : Ce reportage n’est que le début d’une série d’articles consacrés aux prouesses de corruption des années dorées du clan Hariri]
Alors que 2,4 millions de dollars de fonds municipaux dédiés à une caserne de pompiers disparaissent sans laisser de trace, l’état n’est pas capable de payer décemment ses pompiers.
Beyrouth – Abou Hassan lève les yeux brièvement, finit de prendre une tasse de café pendant qu’un client pressé attend dans sa voiture. Après l’avoir servi, il réfléchi à la requête et glousse de rire. Il connait l’endroit en question comme étant un champ de ferraille, et a récemment eu vent qu’il pourrait devenir un cimetière. Mais une caserne de pompiers ? Dois-je vraiment croire qu’il y avait une caserne de pompiers ici ?
« Nous entendons parler de cette histoire depuis des années », dit-il. Il pointe alors avec son doigt tâché de café : « Regarde, c’est là en face de toi. Regarde les pompiers et les équipements… ouvre les yeux ».
Issam passe prendre un café, sans sucre. Il a emménagé dans la région il y a 20 ans, 10 ans avant l’actuel chef de la municipalité de Beyrouth Abdel Meneem Al Aris, et décida de construire l’inexistante caserne de pompiers. Tout ce qu’il sait, c’est que le site situé entre la banlieue de Chatila et le cimetière de Chahidayn, était destiné à devenir un grand centre de défense civile.
« Nous n’avons jamais pu savoir ce qui s’était passé », dit-il, ajoutant qu’il avait récemment entendu que des plans existaient pour le transformer en cimetière. « Là non plus, on ne sait pas ce qu’il en est devenu ».
Ce qu’Abou Hassan et Issam ne savent pas, ils peuvent le retrouver dans les archives, comptes-rendus de réunions et décrets de la municipalité de Beyrouth.
Le 9 Octobre 2001, le Conseil municipal de la ville de Beyrouth et le Conseil pour le Développement et la Reconstruction (CDR) publie le décret n° 751, approuvant la construction d’une caserne pour la protection civile sur le lot n° 2639. L’article 3 du document stipule que « les coûts de mise en œuvre du projet sont à la charge de la part de la municipalité vis-à-vis des décaissements du fonds municipal indépendant. »
Vingt jours plus tard, la municipalité émet un nouveau décret, n° 817, ordonnant le transfert de 2250 millions de livres libanaises (LL) (1,5 millions de dollars) de la « réserve de reconstitution budgétaire » au CDR pour couvrir les coûts de construction d’une caserne des pompiers sur la parcelle 2639.
Un an plus tard le CDR « découvre » que le site était classé dans la «la zone d’amélioration 9 », où la construction ou la transformation des caractéristiques naturelles de la terre est interdite. Compte tenu de ce constat, le 9 Novembre 2002, le conseil municipal promulgue le décret n° 2002. Celui-ci demande à la Direction de la planification civile d’approuver le reclassement de la parcelle parmi la « zone d’amélioration 10 », et d’assurer le décret adéquat auprès des autorités concernées, afin de permettre à la municipalité de construire la caserne des pompiers sur une superficie de 2000 m².
Plus tard, il s’est avéré que le million et demi de dollars ne suffisait pas au CDR. Dans une lettre datée du 16 juillet 2004, il demande à la municipalité d’allouer un montant supplémentaire de 900.000 $ au projet, « pour couvrir le déficit de la répartition actuelle », car le coût global était « projeté à 2,4 millions de dollars ». La municipalité contrainte, libéra sous le décret n° 72 du 24 février 2005, qui porte la signature de « Ing. Abdul-Munim al-Arees ».
Quatre ans après la proposition du projet, le CDR avait 2,4 millions de dollars en sa possession à dépenser pour cela.
Mais une caserne des pompiers a besoin d’électricité. Le conseil municipal en prit conscience six ans après son décret d’origine. Par conséquent, en vertu du décret n° 555 du 6 Août 2007, une demande a été faite à Electricité du Liban pour approvisionner le site en électricité.
Donc, l’argent est disponible ; et l’électricité aussi, offerte par l’EDL. La seule chose qui manque reste la caserne des pompiers elle-même.
Abdel-Meneem al Aris parti, c’est son compatriote et acolyte du Courant du Futur Bilal Hamad qui fut élu à la tête de la municipalité lors des élections de 2010. Sous sa présidence, le conseil a découvert que le lot 2639 serait en fait plus adapté à devenir un « cimetière pour Beyrouthins décédés des communautés musulmanes sunnites et chiites » plutôt qu’une caserne des pompiers.
Par conséquent, il a fallu un décret à cet effet (n° 1142) le 22 décembre 2011, ne faisant aucune mention des précédents décrets de la municipalité, et sans poser la moindre question sur l’argent transféré au CDR.
Dans la république de la « négligence » financière, il manque beaucoup plus qu’une inexistante caserne des pompiers.
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