Gebran Bassil : Le Liban, un « modèle » en première ligne
Posted by jeunempl sur novembre 23, 2012
« Ce qui est exigé aujourd’hui, c’est de changer les politiques occidentales qui nous menacent tous »
Gebran Bassil, Ministre libanais de l’énergie et de l’eau, membre du Courant patriotique libre
Vendredi 23 novembre au Centre d’accueil de la presse étrangère (CAPE)
« Les chrétiens de l’Orient sont stupéfaits des politiques adoptées par l’Occident qui ne font qu’empirer une situation qui a déjà englouti les Terres saintes, l’Irak, l’Égypte et maintenant la Syrie et, à Dieu ne plaise, le Liban. Agir à temps ! C’est le cri qu’on lance aux musulmans d’Orient et aux chrétiens d’Occident. Le bon modèle est toujours là, gardez-le vivant ! »
Gebran Bassil est un des dirigeants les plus en vue du Courant patriotique libre, mouvement politique libanais fondé en 1992 par le général Michel Aoun et représenté au parlement libanais sous le nom de Bloc du changement et de la réforme. Ministre de l’énergie et de l’eau depuis 2009, il a multiplié ces dernières années les études permettant de mieux connaitre les réserves potentielles d’hydrocarbures qui se trouvent dans le sous-sol marin de la zone économique exclusive (ZEE) du Liban, ainsi que des études de faisabilité pour la création d’un terminal de Gaz naturel liquéfié (GNL) dans son pays. Un dossier sensible puisqu’Israël et Chypre ont des projets similaires et qu’un accord sur la délimitation de leurs ZEE respectives restent encore à trouver.
En visite privée en France avant d’aller dimanche 25 novembre au Vatican assister à la création comme cardinal du patriarche de l’Église maronite, Mgr Béchara Raï, il a participé à une conférence de presse organisée au centre d’accueil de la presse étrangère (CAPE) à l’initiative du Club de la presse arabe. Gendre du général Aoun, sa vision est celle d’un dirigeant chrétien ayant fait le choix au Liban de s’allier au Hezbollah chiite pro-iranien, alors que d’autres sont alliés au Courant du futur sunnite pro-saoudien, dirigé par Saad Hariri et aujourd’hui dans l’opposition.
« Le Liban, un modèle unique »
« Le Liban présente un modèle humain unique au monde », souligne Gebran Bassil. « Dans notre modèle, les chrétiens ne sont pas les descendants des rescapés des croisades. Ils sont les premiers chrétiens baptisés par les apôtres eux-mêmes. Dans notre modèle, les musulmans ne sont pas les descendants des rescapés des vagues d’invasion mamelouke, ottomane et autres régimes obscurantistes; ils descendent des prophètes, ce sont des gens de paix et de miséricorde. Hélas, le monde n’a pas pu comprendre l’importance de ce modèle ».
« Le Levant se trouve dépourvu de ses chrétiens »
« Dieu nous a offert le Levant », précise-t-il. « Un bassin plus humain que géographique. Ce Levant englobant toutes les religions monothéistes, bien qu’ayant donné naissance au christianisme, se trouve aujourd’hui dépourvu de ses chrétiens. La cause la plus pesante, c’est la politique de l’Occident qui a privilégié deux « axes d’intérêt » : la sécurité d’Israël, aux dépens des droits des peuples de la région; la sécurité de l’approvisionnement du pétrole du Golfe, au prix d’un soutien aux régimes autocratiques, parrains mêmes des mouvements takfiris » (1).
« Le soi-disant « printemps arabe » s’est révélé un hiver glacial »
« Le soi-disant ‘printemps arabe’ s’est révélé être un hiver glacial et une plongée dans les ténèbres« , argumente Gebran Bassil. « Ainsi, des dictatures sont remplacées par des gouvernements islamistes extrémistes et les mouvements inspirés par Al-Qaïda sont en plein essor ».
« Si le Liban tombe, la chrétienté tombe »
« Le Liban est menacé par la montée d’un intégrisme dans une région riche de sa diversité », poursuit-il. « Si cette vague n’est pas contenue chez nous, elle ne tardera pas à atteindre vos côtes », lance-t-il à l’adresse de l’opinion et des autorités françaises. « Nul ne sera à l’abri! Si le Liban tombe, la chrétienté tombe, les valeurs humanistes tombent et le monde, que l’on voulait divers, tombe. »
« D’un côté, les Levantins humanistes, de l ‘autre les « takfiris »
Pour ce quadragénaire né en 1970, cinq ans avant le début de la guerre civile libanaise, dans le caza de Batroun, entre Beyrouth et Tripoli, deux cultures risquent d’entrer en collision au Liban. D’un côté, « les Levantins humanistes, chrétiens et musulmans, qui défendent les mêmes valeurs et partagent le même Dieu ». De l’autre, « les takfiris, chez qui l’idée même d’accepter l’Autre est étrangère. Pour eux, la démocratie est un moyen, pas une fin. C’est un train dont on descend quand on a atteint son objectif. Leur endoctrinement est de plus en plus fort ».
« On voit s’installer des régimes dictateurs et intégristes »
Pour Gebran Bassil, l’Occident a tort de rechercher une démocratisation accélérée des pays du Proche et du Moyen Orient. « Une transition rapide vers la démocratie alors que les peuples ne sont pas préparés donne le champ libre aux intégristes », assure-t-il. « Au lieu de régimes dictateurs et laïques, on voit s’installer des régimes dictateurs et intégristes. Bien sûr, il faut encourager la démocratie et les réformes, mais en veillant à ne pas encourager les extrémistes. Attention aux principes qui séduisent mais qui cachent une réalité pire que l’actuelle ».
« Vouloir absorber les radicaux, ça accentue le problème »
« Les manœuvres superficielles cherchant à absorber les radicaux dans des encadrements politiques larges et de les reconnaitre afin de les apaiser ne résolvent pas le fond du problème mais l’accentue« , ajoute-t-il, sans citer la Syrie où la France a reconnu la nouvelle Coalition de l’opposition comme seul représentant légitime du peuple syrien, avec l’espoir qu’elle s’impose face aux extrémistes.
« La France, on en attend une bonne compréhension du problème, elle a des dispositions pour cela« , insiste Gebran Bassil, dont le premier ministre, Najib Mikati, a été reçu par le président français François Hollande mercredi 21 novembre. « On attend d’elle une ouverture à tous les points de vue et un encouragement à tous les modérés« .
« Que la France ne nous lâche pas »
« Elle assure dans la relation bilatérale avec le Liban », distingue le ministre, « mais c’est toute une région, toute une population qu’il faut préserver de l’extrémisme. Et là, nous avons parfois l’impression que non seulement elle ne nous soutient pas, mais qu’elle joue contre nous. Tout ce qu’on demande, c’est qu’elle ne nous lâche pas, nous les humanistes. Nous défendons des valeurs communes« .
« Ne pas s’ingérer » dans le conflit syrien
Alors que le Liban menace d’être entraîné dans le conflit syrien, Gebran Bassil dénonce « les ingérences de certains Libanais qui risquent de justifier plus tard des ingérences syriennes et de menacer, par conséquent, notre indépendance ». « Le Liban ne peut pas s’isoler, mais pour se protéger, il ne doit pas s’ingérer », ajoute-t-il. Il assure que le Hezbollah, qui a des ministres au gouvernement, se contente d’un « soutien politique mais pas militaire » au régime de Bachar al Assad.
« Le Hezbollah, un facteur de force »
Le Hezbollah, dont il estime que les capacités militaires représentent une force de dissuasion (« un facteur de force ») envers Israël au sujet de l’exploitation off shore des hydrocarbures. « Nul ne peut garantir la sécurité de son État lorsque son entourage plonge dans l’insécurité et la violence », a-t-il prévenu en mentionnant Israël. « Nul ne peut maintenir la prospérité de son État lorsque son voisinage souffre de récession et de pauvreté ».
« Le Liban promet des ressources en hydrocarbures considérables »
Gebran Bassil suggère d’utiliser « positivement » la nouvelle donne énergétique au large des côtes du Levant. « S’en servir comme un facteur de stabilité et non comme une cause de conflits ». À ses yeux, « le Liban promet des ressources considérables dans le bassin méditerranéen et celles-ci se trouvent aux portes de l’Europe et de l’Asie. Ainsi, il pourra assurer l’approvisionnement gazier aux pays amis pour des décennies à venir sans les forcer à compromettre les valeurs humanistes contre les valeurs matérialistes ».
(1) Le terme « takfiri » signifie littéralement en arabe « excommunication ». Les takfiris considèrent les musulmans ne partageant pas leur point de vue comme des apostats et donc des cibles légitimes pour leurs attaques. Et leur idéologie exige l’élimination de tous les non-musulmans.
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