Saïda après Tripoli : Un pas de plus vers la fitna
Posted by jeunempl sur novembre 18, 2012
L’Hebdo Magazine – Jenny Saleh
Les accrochages à Saïda entre les partisans d’Ahmad el-Assir et ceux du Hezbollah ont fait craindre le pire, dimanche 11 novembre. La perspective d’une fracture supplémentaire entre sunnites et chiites inquiète, malgré l’appel unanime de la classe politique au calme.
Les pluies torrentielles, tombées dimanche sur le Liban, n’auront pas freiné les ardeurs de certains à sortir les fusils. Cette fois, le théâtre des affrontements n’est pas au Nord, à Tripoli, mais au Sud, à Saïda. A l’origine, une sombre histoire d’affiches. Dès vendredi, dans son prêche intitulé Notre paix et leur agression, le cheikh salafiste Ahmad el-Assir, connu pour ses positions clairement anti-Hezbollah, lance un ultimatum aux sympathisants du mouvement chiite dans la ville. Il leur demande d’ôter toutes les affiches à la gloire du parti, disséminées dans Saïda à l’occasion de la Journée des martyrs et de la commémoration de Achoura. Assir et ses partisans souhaitent également que soit déplacé le char israélien exposé sur l’un des ronds-points de Saïda, depuis la guerre de 2006. De leur côté, les autorités, inquiètes, tentent d’apaiser la situation.
Si certains posters sont effectivement enlevés sur les artères principales de la ville, ce n’est pas suffisant au goût de l’imam de la mosquée Bilal Ben Rabah. L’ultimatum de 48 heures arrivant à terme, dimanche, sans être exécuté totalement, les supporters du cheikh salafiste se rassemblent à la mosquée à l’appel de leur leader. Entre-temps, un autre événement intervient. Il concerne le fils d’Ahmad el-Assir, Omar. Celui-ci est interpelé par les FSI, au volant d’une voiture aux vitres fumées. Les officiers l’arrêtent, car le jeune homme, âgé de 15 ans, n’est pas en mesure de présenter de permis de conduire ni l’autorisation du ministère de l’Intérieur de rouler dans un véhicule aux vitres teintées. Cette interpellation n’est visiblement pas du goût d’Assir qui, quelques minutes plus tard, arrive sur les lieux avec quatre véhicules, pour demander qu’il soit libéré. Manu militari, Assir et ses partisans menacent les FSI qui obtempèrent et libèrent Omar.
La preuve par la vidéo
Le cheikh et sa bande, appuyés par d’autres jeunes sympathisants qui les ont rejoints, prennent la direction d’al-Taamir, un quartier pauvre, ouvertement pro-Hezbollah, à proximité du camp palestinien de Aïn el-Heloué. Un portrait de sayyed Nasrallah est déchiré, les premiers coups de feu retentissent. Un jeune Egyptien de 14 ans qui se trouvait au mauvais endroit, Ali Charbini, tombe le premier sous les balles. La fusillade se poursuit, provoquant d’abord la panique parmi les résidants d’al-Taamir, avant d’entraîner des ripostes. L’un des représentants locaux du Hezbollah, le cheikh Zeid Daher tente de calmer la situation, sans succès. Il se prend deux balles, à l’estomac et à l’épaule. Deux hommes, Loubnan el-Izzi et Ali Samhoun, présentés d’abord comme des gardes du corps d’Assir, sont tués. Les violences gagnent du terrain à tel point que des tirs sont également entendus autour du domicile de cheikh Maher Hammoud, le chef du Rassemblement des ulémas musulmans, ou encore dans le quartier d’Abra, fief d’Assir. Au total, les clashs de dimanche auront fait trois morts et sept blessés.
Fort heureusement, l’armée a pu rapidement intervenir et calmer le jeu, en multipliant les patrouilles et les barrages. Car ce qui s’est passé à Saïda aurait pu très vite dégénérer, rendant la situation incontrôlable. Au niveau politique aussi, les appels à l’apaisement se sont aussitôt multipliés.
Si quelques heures après les faits, le cheikh Assir a déclaré que ses militants et lui s’étaient rendus à Taamir pacifiquement pour ôter les affiches du Hezbollah, avant de tomber dans une embuscade, les vidéos réalisées durant les clashs et diffusées par la LBC ou New TV prouvent le contraire. On y voit un véritable assaut de la part des partisans d’Assir, lui-même se réfugiant entre deux voitures. Malgré cela, le cheikh salafiste ira jusqu’à dénoncer, via un communiqué, «une volonté claire de vouloir l’assassiner». Le Hezbollah, lui, ne s’exprime pas sur l’incident.
La fièvre qui s’est emparée de Saïda dimanche inquiète. D’où l’appel de plusieurs personnalités politiques de tous bords, à faire de la capitale du Sud une zone militaire. Le ministre de l’Intérieur qui s’est réuni depuis avec le chef de l’armée Jean Kahwagi a, d’ores et déjà, annoncé que les services de sécurité se montreront fermes «et tireront sur tous les éléments armés qui refusent de coopérer avec les agents déployés sur le terrain». Une fermeté qui n’a toutefois pas empêché les partisans du cheikh Assir de se montrer ouvertement, munis d’armes, lors des funérailles de Loubnan el-Izzi et Ali Samhoun, lundi après-midi.
En filigrane, c’est le spectre d’une fitna qui se profile à Saïda, une discorde entre sunnites et chiites qui pourrait être lourde de conséquences, non seulement pour le Liban, mais pour la région tout entière. Pourtant, pour le cheikh sunnite Maher Hammoud, proche du Hezbollah: «on ne peut pas faire la comparaison avec les tensions également très vives à Tripoli». «Bien sûr, on peut craindre beaucoup d’autres clashs, mais Tripoli est différent de Saïda», explique-t-il à Magazine. Du point de vue géographique, démographique et politique. Cheikh Hammoud se dit favorable tout de même à ce que Saïda devienne une zone militaire. «L’armée doit empêcher toute nouvelle aventure de ce type». Assir, selon lui, est quelqu’un de «très fanatique dans sa vision politique. Il s’imagine que le Hezbollah est contre le sunnisme et la ville de Saïda, mais il se trompe. Il interprète tout comme une agressivité vis-à-vis des sunnites, mais il ment, il sait très bien que ce n’est pas la vérité», juge-t-il sévèrement. «C’est très grave, d’autant qu’il a réussi à convaincre une certaine partie de l’opinion publique», poursuit Hammoud. A l’origine de cette popularité d’Ahmad el-Assir, se trouvent, selon lui, les positions affichées du Hezbollah en faveur du régime syrien. Pour autant, le cheikh salafiste, sous ses dehors d’action individuelle, est de son point de vue, manipulé par des forces extérieures, «comme par un remote control», dit-il.
Une position partagée par Ghassan el-Ezzi, professeur de sciences politiques à l’Université libanaise. Lui, estime que la provocation d’Assir est menée en sous-main par «des forces obscures qui tentent de faire exploser la situation au Liban». «Il y a je ne sais quel service de renseignements étranger derrière cet homme, je pencherai plutôt du côté d’Israël», estime-t-il. «Je vois en tout cas un intérêt commun entre Israël et la Syrie à faire éclater le Liban. Je ne crois pas qu’un autre pays, l’Arabie saoudite ou le Qatar, ait intérêt à cela», juge Ezzi.
Pour autant, les événements de dimanche et l’unanimité de toutes les parties politiques à chercher l’apaisement, prouvent qu’il existe une limite à ne pas dépasser. «Je crois que c’était aussi l’objectif de la visite du président français, François Hollande, de dire que la stabilité au Liban est une ligne rouge à ne pas franchir». Cette position de la France mais aussi des Etats-Unis et de l’Onu, permet à l’Etat libanais, ainsi qu’à l’armée de se doter de la couverture politique nécessaire pour intervenir sur le terrain.
Une nouvelle milice
L’éclatement d’une guerre civile, et encore plus entre sunnites et chiites, aurait de lourdes répercussions régionales. «Saïda n’a pas la même configuration que Tripoli, mais sur le plan symbolique, ce qui s’est passé est plus dangereux, car la ville est la porte du Sud, c’est sur les terres du Hezbollah, et en même temps il y existe une mixité confessionnelle», explique Ezzi. A l’instar des Occidentaux, «le Hezbollah ne veut pas d’une guerre civile», juge-t- il. «Le Hezbollah n’a ni l’intérêt ni la volonté de participer à une fitna, car au Moyen-Orient, les chiites sont minoritaires. Par ailleurs, le parti a déjà essuyé beaucoup de pertes politiques à cause de ses positions à l’égard de la Syrie. Une guerre ne ferait qu’achever le Hezbollah», estime cet analyste. «Ce serait une joie pour Israël de voir le Hezbollah tomber dans une guerre interne au Liban».
Quant au phénomène hautement médiatique -et médiatisé- Ahmad el-Assir, Ezzi souligne qu’il tente sans doute de «récupérer le leadership sunnite, en jouant sur les déceptions de quelques-uns avec des discours populistes». En l’espace de quelques mois en effet, ce salafiste que personne ne connaissait, a fait de la lutte contre le Hezbollah son cheval de bataille. Et cette lutte risque de prendre un tournant encore plus dangereux dans les semaines et les mois qui viennent. Assir a affirmé devant ses partisans vouloir créer, lui aussi, une milice armée pour «lutter contre le projet iranien et ses alliés». Une milice dirigée par Khaled Kablaoui, qui serait d’ailleurs déjà en gestation, depuis quelques semaines. Les entraînements ayant lieu au Liban-Nord.
Avec l’apparition de cette nouvelle frange armée au moment où la situation sécuritaire est plus que tendue, les heurts devraient se poursuivre et continuer de rythmer le quotidien des Libanais. Jusqu’à quand? «Tout dépendra de l’issue de la crise syrienne et de ce qui se passera ensuite en Syrie, ainsi que de qui sera alors au pouvoir», juge Ghassan el-Ezzi, qui présage encore de nouveaux accrochages, sans que, malgré tout, la situation n’explose totalement.
Nasrallah: «Tant pis pour eux»
Dans son discours prononcé à l’occasion de la Journée des martyrs, sayyed Nasrallah a balayé l’idée d’un cabinet neutre, arguant qu’une «telle formule n’existe pas et n’a aucun sens au Liban, où tout est politisé». «A Doha, nous avons réclamé un gouvernement d’union, et après la désignation de Najib Mikati, nous avons prôné un gouvernement d’union. Mais c’est l’autre camp qui refuse», a-t-il dit. Très critique à l’égard du chef des FL, Samir Geagea, qu’il n’a pas nommé, Hassan Nasrallah a dénoncé «ceux qui veulent faire oublier leur passé de collaboration avec Israël et ceux qui cherchent à provoquer une confrontation sunnite-chiite dans le pays».
Concernant le refus du 14 mars de revenir à la table du dialogue, Nasrallah a déclaré que «La Résistance fait preuve de grandeur d’âme en acceptant de dialoguer avec ce genre de personnes qui boycottent le dialogue. Quand ils voudront reprendre le dialogue, ils seront les bienvenus, sinon tant pis pour eux».
Commentant la situation à Saïda, Nasrallah a appelé les chiites comme les sunnites à être patients et surtout, à faire preuve de retenue. «Saïda est la capitale du Sud et reste celle de la Résistance».
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