L’énigme des pèlerins libanais : L’incroyable cafouillage
Posted by jeunempl sur juin 1, 2012
Le mystère des pèlerins libanais est en passe de devenir une affaire d’envergure régionale. Des services de renseignements semblent impliqués et Saad Hariri aurait suspendu sa médiation. Qui sont les ravisseurs et quelles sont leurs revendications? Quel est le véritable but de cette opération?
Il est 16 heures, vendredi 25 mai, lorsque Saad Hariri contacte par téléphone le président du Parlement, Nabih Berry, pour lui annoncer la bonne nouvelle: les pèlerins libanais ont été relâchés et se trouvent actuellement en sécurité à l’intérieur du territoire turc. L’ancien Premier ministre informe aussi le chef du mouvement Amal que son jet privé décollera de Beyrouth vers l’aéroport militaire de Hatay pour les ramener au pays. Hariri, qui se trouve en Arabie saoudite, venait tout juste de recevoir un coup de fil du ministre turc des Affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, qui lui a assuré que les services de renseignements de son pays avaient conclu un accord avec les ravisseurs, et que les otages étaient désormais à l’abri. C’est l’explosion de joie dans les rues de la banlieue sud de Beyrouth et un sentiment d’unité nationale que les Libanais n’avaient plus connu depuis bien longtemps plane sur la ville. Mais les heures passent et les pèlerins ne sont toujours pas là. La confusion cède petit à petit la place à l’angoisse.
Dans le salon d’honneur de l’aéroport, où ministres, députés et hommes politiques poirotent, depuis des heures, les visages ne sont plus que des points d’interrogation. Sur la route de l’aéroport, la foule s’impatiente et se pose des questions. Le ministre de l’Intérieur se porte volontaire, vers minuit, pour s’adresser à la presse. Il évoque un simple retard de quelques heures. Finalement, le Hezbollah et le mouvement Amal publient un communiqué conjoint invitant les gens à rentrer chez eux.
Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer ce qui s’est passé. La première a été présentée par les opposants syriens qui ont prétendu que les ravisseurs étaient à quelques minutes du lieu de rendez-vous quand ils ont entendu le discours du sayyed Hassan Nasrallah dans lequel il remerciait le président Bachar el-Assad et son gouvernement. Cette annonce les aurait rendus furieux, les poussant à rebrousser chemin.
Interrogées à ce sujet, des sources proches du Hezbollah ont expliqué à Magazine que «lorsque le sayyed a prononcé son discours, trois heures s’étaient écoulées depuis l’annonce de leur libération et nous avions reçu des assurances des autorités libanaises et turques que les otages étaient libres». «Il serait simpliste de croire que le groupe armé qui détient les onze pèlerins écoutait à la radio le discours du sayyed et qu’en un moment de colère, il aurait décidé de tout abandonner», ajoute le responsable du Hezbollah. Malgré ces explications, le Parti de Dieu a corrigé ce faux pas en condamnant le massacre de Houla, alors qu’auparavant, de tels crimes n’étaient pas commentés par Haret Hreik.
Réaliser des gains politiques
La deuxième hypothèse prétend que les ravisseurs ont été empêchés de traverser la frontière et de libérer leurs prisonniers à cause des bombardements intenses de l’armée syrienne. Mohammad Noureddine, expert des questions turques, précise à Magazine que l’enlèvement visait avant tout à réaliser des gains politiques. «Cette opération d’envergure dépasse les capacités de l’Armée syrienne libre et des mouvements de l’opposition. Je pense que les vrais commanditaires sont des Etats de la région et que le rôle de certains services officiels turcs a été essentiel pour la réussite de cet enlèvement. Le but de l’opération est d’affaiblir le régime syrien et ses alliés, et vise aussi à montrer que le leader du Hezbollah est incapable de tenir ses promesses. En tout cas, ce jeu est très dangereux».
Les nouvelles en provenance de Syrie sur l’état de santé des otages sont de plus en plus inquiétantes, surtout après l’annonce faite par Reuters et par la chaîne Russia Today que les pèlerins auraient été exécutés. Ce qui alimente ces rumeurs, c’est l’absence de photos prouvant qu’ils sont toujours en vie. Plus inquiétante encore, l’annonce faite par le président démissionnaire du Conseil national syrien, Burhan Ghalioun, selon laquelle les onze Libanais n’étaient pas de simples pèlerins mais plutôt des officiers du Hezbollah.
«Et alors? Onze libanais ont été kidnappés! Ce n’est pas la fin du monde. Le vrai drame se déroule en Syrie et plus précisément à Houla», s’est-il exclamé. Entre-temps, d’autres sources proches de l’opposition syrienne affirment que l’un des onze pèlerins n’était autre que le neveu du secrétaire général du Hezbollah sayyed Hassan Nasrallah; information catégoriquement démentie par les sources du parti. Pour sa part, le général dissident Houssameddine el-Awak enfonçait le clou en assurant que «parmi les détenus se trouvent cinq responsables du Hezbollah impliqués dans des exactions contre le peuple syrien». Allégations également démenties par le Parti de Dieu.
Mais qui est au juste l’organisation responsable de ce rapt et connue sous le nom d’al-Hakika wal karamé? Quelles sont les revendications des ravisseurs? Des sources à Damas ont indiqué à Magazine que le chef du gang responsable du rapt, Ammar el-Dadakhli, n’était pas un officier dissident de l’armée syrienne mais un brigand des grands chemins. «Ammar est impliqué dans des trafics à travers la frontière depuis de longues années et à la suite d’événements meurtriers, il a décidé de rejoindre les groupes rebelles armés et de former son propre bataillon. Durant les derniers mois, il s’est radicalisé et s’est islamisé».
Une source journalistique libanaise présente en Turquie qui suit de près les négociations a révélé à Magazine que le groupuscule armé a suivi les réactions du Hezbollah et a, par conséquent, décidé de hausser le ton. «Au début, les ravisseurs demandaient une rançon et avaient informé les négociateurs turcs qu’ils n’avaient pas d’autres revendications. D’ailleurs, Saad Hariri a tout de suite informé Ankara qu’il était prêt à payer cette rançon lui-même. Mais le ton est vite monté et les demandes sont devenues beaucoup plus complexes. Le groupe exige désormais la libération de dizaines de détenus des prisons du régime syrien, et demande que l’armée turque le fournisse en armes. Même la rançon a été multipliée par trois, causant une confusion à tous les niveaux».
Dans cette affaire, tous les acteurs se sont montrés en deçà du défi: le Hezbollah a commis une erreur avec les remerciements adressés par son secrétaire général au président syrien. Il a cependant réussi à calmer sa rue, mais jusqu’à quand; le gouvernement libanais a prouvé son incapacité à gérer les crises; les autorités turques ont donné de faux espoirs avant de se murer dans un silence de mort; le Conseil national syrien et son président avaient nié au début toute responsabilité dans l’affaire, avant d’accuser les onze pèlerins d’être des combattants du Parti de Dieu. Il ne faut surtout pas oublier la responsabilité du régime syrien qui n’a réagi que trois jours après les faits pour s’en prendre à Ankara, comme si l’enlèvement n’avait pas eu lieu sur son territoire.
Les faux médiateurs, les pistes brouillées et les espoirs tombés à l’eau après avoir été alimentés par le cheikh Ibrahim el-Zohbi et ses semblables, ont traîné pendant plus d’une semaine et ont mené avec eux les négociations vers l’impasse. Entre-temps, la colère gronde et il sera de plus en plus difficile, même pour Hassan Nasrallah, d’empêcher les grands clans de la Békaa, de ne pas procéder à des représailles.
L’attaque de Ramadi
Vingt-quatre heures après le kidnapping des ressortissants libanais près de la frontière syro-turque, une bombe a explosé dans la région irakienne à majorité sunnite de Ramadi, visant un bus qui transportait des pèlerins libanais chiites. Bilan: trois femmes tuées et douze blessés. Le bus, qui transportait vingt-neuf personnes dont une majorité de femmes et d’enfants, effectuait un voyage entre l’Irak et la Syrie. Faisant partie de la campagne Shams al-Doha, les passagers ne s’attendaient pas à ce qu’ils soient visés tout comme le furent la veille deux autres bus en Syrie. Rentrés au pays par avion, les survivants ont vite rejoint leurs familles alors que le Premier ministre, Najib Mikati, décidait d’interdire, jusqu’à nouvel ordre, toutes les visites religieuses effectuées par voie terrestre.
Haja Hayat
Dès les premières heures qui ont suivi l’annonce de l’enlèvement de ressortissants libanais en Syrie, Haja Hayat Awwali a occupé le devant de la scène médiatique alors qu’elle se trouvait toujours à Alep. La directrice de la campagne al-Badr al-Kobra, originaire du village de Khiyam au Sud-Liban, a été la première à affirmer que le chef de la bande des ravisseurs n’était autre que Ammar el-Dadakhli, qu’elle a prétendu avoir reconnu sur le champ. Active et dynamique, elle est toujours présente là où il y a une caméra. Toutefois, ses déclarations ont commencé à perdre de leur crédibilité. Elle a notamment déclaré que les otages seraient libérés dimanche 27 mai, ce qui n’a pas eu lieu.
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