Safadi vs Mikati : Tripoli, la clé du Grand Sérail
Posted by jeunempl sur avril 27, 2012
L’Hebdo Magazine – Julien Abi Ramia
Le pacte qui prévalait depuis 2009 entre Najib Mikati et Mohammad Safadi volera-t-il en éclats? A un an des prochaines élections législatives que préparent activement le chef du gouvernement et le ministre des Finances en vue de la bataille de Tripoli, la polémique qui oppose les deux hommes, candidats naturels au poste de Premier ministre, pourrait les conduire à prendre des chemins différents.
C’est dans le courant du mois de mars, au moment des discussions gouvernementales autour de la question des bateaux producteurs d’électricité, que les divergences entre Mikati et Safadi sont clairement apparues. Jusqu’alors, les deux figures de proue de la liste de l’Entente tripolitaine n’avaient jamais fait montre de désaccords aussi flagrants sur la place publique. Des divergences d’ordre technique, tentent de rassurer les deux hommes qui tiennent à minimiser «les interprétations politiques un peu hâtives», dixit le conseiller spécial de Mohammad Safadi, Antoine Constantine.
Depuis plusieurs jours, des amis communs de Tripoli, ainsi que leurs colistiers de 2009, essaient de calmer les esprits en multipliant les navettes. Les deux hommes s’accordent sur la nécessité de sauver les apparences. Ils ne veulent pas alourdir le climat d’un gouvernement déjà traversé par de multiples lignes de fracture. Mais leurs entourages se sont lancé des accusations lourdes et assez sérieuses pour douter d’une réconciliation totale.
En politique, les polémiques ne sont jamais innocentes, surtout à douze mois d’élections décisives. Pourront-ils tourner la page de la controverse? Au plus haut des tensions, les mots auront été extrêmement violents. Il y a près d’un mois, dans un communiqué officiel, le ministre de l’Economie, Nicolas Nahas, fidèle parmi les fidèles du Premier ministre, mettait en cause les compétences – «son rôle est de protéger les deniers publics» – et l’intégrité de son collègue des Finances, accusé de toucher des commissions occultes. De manière assez soudaine, le désaccord technique devient une affaire personnelle.
Pourquoi cette brusque montée de fièvre? Nicolas Nahas était-il en service commandé? Le Premier ministre a, sans doute, moyennement apprécié que l’un de ses plus proches partenaires politiques fasse barrage à sa conduite des affaires. Déjà malmené par ses contempteurs en Conseil des ministres, Najib Mikati n’avait pas besoin de cela. Pour Antoine Constantine, la ficelle est plutôt grosse. «Nous avons été surpris par ces propos», explique-t-il. Ces déclarations ne correspondent pas au ton habituel du chef du gouvernement. Mais nous avons alors considéré que cette prise de position reflétait l’opinion de ce dernier». S’installe alors un climat hostile en coulisses. Mohammad Safadi décide de prendre personnellement les devants.
Le 12 avril, le ministre des Finances s’invite à l’émission politique de la LBC, Kalam el-nass, et ne mâche pas ses mots. «Najib Mikati a confié à tout le monde, dont Nabih Berry et Walid Joumblatt, que je voulais toucher de l’argent sur les bateaux producteurs d’électricité et qu’il en avait les preuves. S’il me trouve incompétent ou suspect, qu’il engage un vote de confiance». Il s’en prend à Nicolas Nahas. «Je ne voulais pas en faire une histoire. Mais il a envenimé la situation. Même un gamin n’aurait pas dit ces choses s’il avait la décence de respecter le pays». Constantine n’en rajoute pas. «Je pense que les dernières déclarations du ministre des Finances ont été assez claires. Il n’est pas nécessaire de fournir d’explications supplémentaires».
Quelles alliances en 2013?
La contre-attaque de Safadi a fait mouche, car cette sortie médiatique aura contraint Najib Mikati, toujours désireux de rester à l’écart du débat politique, d’entrer par une porte dérobée dans la campagne des législatives de l’année prochaine. Dans le cercle de Mohammad Safadi, on explique qu’il faut lire ses propos au deuxième degré. Le ministre a voulu livrer trois messages: le gouvernement mis en sommeil par les divisions internes doit se réveiller, il faut reprendre en main la gestion de Tripoli, et des décisions doivent être prises à l’orée des échéances de 2013. C’est aujourd’hui sur ces trois sujets que Mikati et Safadi sont appelés à se prononcer, quitte à ne pas se mettre d’accord. Visiblement, le ministre des Finances ne veut pas attendre indéfiniment les choix du Premier ministre sur tous ces dossiers. Le premier réclame au moins des éclaircissements au deuxième. En vérité, c’est en fonction des desideratas de son partenaire électoral de 2009 que Mohammad Safadi décidera de la suite.
Dans cet esprit, les questions sur le futur des relations entre les deux hommes apparaissent d’elles-mêmes. Si elles étaient rompues, comment le chef du gouvernement va-t-il gérer son mandat sans le soutien de son partenaire politique et tripolitain? Dans le cadre des élections de 2013, les rapports de force électoraux de Tripoli montrent que Mikati et Safadi sont plus forts lorsqu’ils se présentent ensemble. Si l’impossibilité d’une alliance devait être entérinée, alors ils devraient rechercher du côté du Courant du futur et de la mouvance de Omar Karamé, deux des plus gros pourvoyeurs de voix dans la circonscription, pour garder une chance d’être réélus.Si, à l’inverse, les relations entre les deux hommes venaient à s’améliorer, pourront-ils pour autant tourner la page de leur affrontement? Rien n’est moins sûr. Les accusations lancées, de part et d’autre, ont jeté un froid qui semble difficile à surmonter. Il y aura un avant et un après.
Ces tensions se superposent aux difficultés politiques que traverse la capitale du Nord. Le conseil municipal de Tripoli, qui compte vingt-quatre membres, est en crise depuis plusieurs mois. Ces derniers jours, au moins dix de ses membres ont affirmé que leurs lettres de démission étaient prêtes à être envoyées au gouverneur de la région du Nord, Nassif Kalouch. Ils mettent en cause le travail du maire de la ville, Nader Ghazal, qui monopolise le pouvoir de décision et freine les projets de développement de la ville. En 2010, Ghazal a été élu de manière consensuelle avec le soutien de Omar Karamé, du Courant du futur, de Mohammad Safadi et de Najib Mikati. Les démissionnaires appartenant à la mouvance sont membres du trio Futur-Safadi-Mikati. Au regard des problèmes entre les deux derniers cités, la situation s’est inévitablement corsée. Mohammad Safadi serait plutôt favorable à la dissolution du conseil municipal actuel, via la démission de Nader Ghazal ou la démission de 13 de ses membres.
Dans les rues de Tripoli, la froideur des relations entre le maire et le ministre des Finances est de notoriété publique. Najib Mikati, lui, n’a pas encore pris de décision sur l’affaire. Les habitants de Tripoli pensaient avoir obtenu la part belle avec la présence au gouvernement de Mikati et de Safadi.
Au début du mois, une réunion regroupant tous les ministres originaires de la ville s’est tenue sous la présidence du Premier ministre. Les chants partisans qui ont accompagné les ministres témoignent de l’approche des élections. Du 17 au 19 avril, le Centre Fayha pour la recherche et la planification de Tripoli a conduit une enquête d’opinion auprès d’un échantillon représentatif de la communauté sunnite tripolitaine.
Les résultats sont assez instructifs. 39,5% des personnes interrogées disent soutenir les choix politiques de Najib Mikati contre 38,3% qui se prononcent pour Saad Hariri. Le Premier ministre obtient 68,6% d’opinions favorables. Autre enseignement de ce sondage, 22,4% des partisans de Najib Mikati affirment qu’ils ne voteraient pas pour les candidats du Courant du futur, même si les deux camps étaient rassemblés dans une même liste.
Les manœuvres du Courant du futur
Lors de l’émission télévisée de Marcel Ghanem, le ministre des Finances a lancé un énorme pavé dans la mare. «Il est dans l’intérêt du pays de préserver le gouvernement. Mais il semble que le Premier ministre Najib Mikati se soit mis d’accord avec le 14 mars pour le faire sauter afin de former un gouvernement de technocrates». Il n’était pas loin de la vérité. Le chef du bloc parlementaire du Courant du futur, Fouad Siniora a soumis publiquement l’idée de la formation d’un gouvernement de technocrates qui présiderait à l’organisation des élections législatives et, plus discrètement, au Premier ministre, la possibilité qu’il le dirige. Le Futur a tenté de s’engouffrer dans la brèche du désaccord entre Mikati et Safadi. Echaudé par les bâtons que la majorité parlementaire lui met dans les roues, le Premier ministre a sérieusement envisagé cette hypothèse. D’autant que sa bisbille avec Safadi augmente les chances du ministre des Finances d’obtenir la confiance du Hezbollah et du Courant patriotique libre. Mais le président du Parlement, Nabih Berry, et dernièrement le Hezbollah ont exclu l’idée de la chute de leur gouvernement. «Un gouvernement de technocrates ou neutre ne peut pas exister au Liban», a expliqué Mohammad Fneich, ministre d’Etat et membre du Parti de Dieu.
L’antagonisme qui s’est accru entre les deux camps rend de moins en moins tenable le positionnement politique de Mikati qui pouvait compter jusqu’alors sur le soutien de Safadi. Il semble plus ballotté que jamais, mais il compte bien garder son cap. Le conseiller spécial de Najib Mikati, également proche de Omar Karamé, Khaldoun Charif, explique: «Najib Mikati n’a pas voulu prendre part à cette polémique parce que le Premier ministre tient à sauvegarder l’entente entre les Libanais en général, et les Tripolitains en particulier. Tout ceci n’aura pas de grosses répercussions, si ce n’est que les relations entre Mikati et Safadi devraient prendre une nouvelle forme».
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