Après la reconnaissance, les réparations : Un vent nouveau sur la cause arménienne
Posted by jeunempl sur mars 5, 2012
Cyril Fourneris – L’Hebdo Magazine
Après presque cent ans de lutte pour la reconnaissance du génocide arménien, l’heure est venue de réclamer des réparations. Un nouvel angle pour contourner les obstacles de la juridiction internationale qui laisse à la diaspora arménienne tout entière un rôle à jouer. D’éminents juristes internationaux se sont penchés sur la question en fin de semaine dernière, à Antélias.
Ils étaient plus de 60 experts en matière de droit international et de génocide à avoir fait le déplacement jusqu’au Catholicossat de Cilicie à l’appel de sa sainteté Aram Ier, tous venus avec la ferme volonté de faire avancer la cause arménienne. Et pourtant, le début du séminaire fut marqué par un sentiment général de frustration: Dans un premier temps les juristes, ont réaffirmé le droit inaliénable des Arméniens à la justice, à la réparation et à la vérité sur les crimes commis par l’Empire ottoman, en 1915. Mais ils ont vite dressé la liste des obstacles qui jusqu’aujourd’hui empêchent le jugement préalable à la reconnaissance de l’acte de génocide. Selon les juristes, en l’absence de coupables, il faut faire jouer la loi en faveur des victimes. Ainsi faut-il cesser de focaliser les réflexions et les actions sur l’accusation de génocide.
Sans coupable pas de crime
«Un tribunal instituant le génocide arménien n’est plus possible, il est trop tard». Dès les premières heures, le ton est lancé par le Dr. Jacobs. «La Cour Internationale de Justice, si elle est habilitée à juger des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et de génocide comme ceux perpétrés sur les Arméniens en 1915, ne peut émettre de jugement, car les accusés sont morts». «L’Etat turc est le responsable des crimes de l’empire ottoman», démontrera par la suite le professeur Patrick Dumberry: il en est la continuation, comme convenu lors du traité de Lausanne en 1923. Mais il reste pour autant impossible de juger le gouvernement turc. Un tribunal pénal n’est compétent que sur la question de l’action du crime, et pas des conséquences.
L’impératif est vite fixé: il faut se pencher sur l’aspect continuel des crimes, seule issue possible à cette impasse de la juridiction internationale. Explorer les faits qui en Turquie sont la perpétuation du génocide de 1915. L’irréductible négation du génocide par l’Etat turc n’est-elle pas la continuation du crime? Elle se traduit dans les manuels scolaires et punit même la proclamation du génocide par l’article 301 du nouveau code pénal du pays. Membre du Conseil européen au même titre que l’Arménie, l’Etat turc pourrait dans ce cadre être amené à devoir se justifier pour «violation de la liberté d’expression», sujet sur lequel la Cour européenne des Droits de l’homme est habilitée à se prononcer. Mais ce n’est pas suffisant, démontrera le Dr. Megret dans son exposé: La loi française qui punit la négation du génocide arménien, par exemple, est de même nature. Punir la Turquie et pas la France, serait faire deux poids deux mesures.
«Je suis le Catholicos de Cilicie. La Cilicie n’est pas ici! La diaspora arménienne est la preuve vivante de la continuation du génocide», s’exclame Mgr Aram 1er. Une nouvelle fois, les experts en droit international, arguments juridiques à l’appui, répondront négativement. «Notre respect pour votre cause se traduit par un devoir d’honnêteté», ajoutera le Dr. Hoffman. Il s’agit pour les défenseurs des droits des Arméniens, d’après les mots du professeur Megret, de «maîtriser les imperfections du droit international, pour mieux le combattre et le contourner».
Changer les lois internationales pour qu’elles répondent à la cause arménienne n’est pas chose facile. Mais si les lois sont critiquables, alors il faut les critiquer et compter sur leur évolution. C’est dans ce cadre que les intervenants encouragent la multiplication des offensives devant les juridictions nationales et internationales, en faisant s’il le faut abstraction de la question du génocide. Pour l’instant, les défenseurs de la cause arménienne n’ont pas assez d’outils juridiques sur lesquels s’appuyer. C’est en appliquant un usage original des lois que les évolutions positives verront le jour, et que la question sera à nouveau soulevée.
L’argument de la restitution
Les exactions et les liquidations des propriétés arméniennes entreprises par l’Etat ottoman représentent un angle d’attaque de taille, les lois turques relatives aux exactions laissant percevoir de nombreuses failles: si les expropriations de biens par l’Etat après 1915 ont été en toute légalité, rien ne sous-entendait que les Arméniens n’y auraient plus jamais accès. Or dans le cas d’une expropriation illégale, les juridictions internationales prévoient des compensations ou des restitutions, à valeur actuelle. Ainsi les experts appellent l’ensemble des entités victimes d’expropriation à réclamer des dédommagements à l’Etat turc ou, selon les cas, aux entités privées qui en jouissent. Cela passe par l’édition exhaustive des biens abandonnés lors des exodes et des déportations.
Lors des interventions portant sur l’estimation des propriétés arméniennes disparues, les orateurs ont estimé ces pertes à plusieurs milliards de dollars. On peut légalement y inclure le fruit du travail des Arméniens, les taxes payées par ces derniers ainsi que les cotisations d’assurance. De nombreux documents tels que les contrats d’assurance peuvent en témoigner et permettre l’édification d’une perspective économico-légale du génocide. Mais la multiplication des réclamations est un enjeu qui dépasse le simple dédommagement. Elle soulève la question cruciale de la continuité des crimes: d’après le Professeur O’Keefe, «la destruction et la confiscation des biens n’est pas une preuve du génocide, mais elle peut-être utilisé par les instances internationales pour déterminer si oui ou non il y a présence de génocide». Le bouleversement de l’ordre légal qui a résulté de la modification du système de taxation peu après la Seconde Guerre mondiale entre dans la qualification d’acte génocidaire.
Dans le même registre, le juge Verhoeven a lui parlé des biens arméniens comme constitutifs du patrimoine culturel arménien. C’est en saisissant cet argument que le musée du Louvre de Paris a récupéré des tableaux dont il avait été dépossédé en toute légalité. Le professeur Nora Bayrakdarin mentionnera cette idée dans son discours de clôture, la qualifiant de «très intéressante».
Dans son discours de clôture, le Catholicos Aram 1er a assuré qu’il prendrait compte des conseils des spécialistes. Des actions seront menées devant la Cour internationale de justice et auprès des Nations unies, portant sur les conséquences légales du génocide. Le prélat a également évoqué la possibilité de soulever la question arménienne devant la Cour européenne des droits de l’homme, en se basant sur la confiscation des propriétés de l’Eglise apostolique arménienne.
Les craintes turques
Le processus de globalisation pousse les Etats à être de plus en plus soucieux de démocratie et relaie au second plan le principe de souveraineté. De nombreux participants ont pris quelques secondes sur leur temps de parole pour rappeler que la position de la Turquie était amenée à changer, quoi qu’il arrive. Pour le professeur Castaldi, «un Etat, s’il est fort, doit savoir réviser son histoire. L’heure est venue pour la Turquie».
Il a fallu presque un siècle à de nombreux Etats pour reconnaître politiquement le génocide arménien. Les représentants de la communauté arménienne saluent ces initiatives, bien que les spécialistes en droit international rappellent qu’elles n’ont aucun poids en termes de droit international, accouchant de lois sans contenu pénal. Dans l’absence de pressions diplomatiques ou de sanctions économiques, ces initiatives restent vaines juridiquement. Mais elles participent à une nouvelle ère dans les relations internationales, qui sont de plus en plus attentives aux déclarations des politiques étatiques, des Cours internationales ainsi que les ONG. Ceci s’accompagne par une tendance globale à la réparation des crimes. « Tous les efforts diplomatiques doivent être menés en coordination dans ce but», a exprimé le professeur Nora Bayrakdarian dans son discours de clôture.
Le rôle de l’Union européenne est crucial dans le processus vers une reconnaissance turque du génocide. Les injonctions européennes à Ankara de modifier sa ligne de conduite sur le dossier arménien va dans ce sens. Le devoir de mémoire semble être plus que jamais une condition sine qua none à l’adhésion de la Turquie à l’Union à laquelle elle a présenté sa candidature. En Turquie, il est probable que le débat fasse un jour irruption sur la scène politique nationale. La violence diplomatique de l’Etat turc traduit des craintes légitimes. La reconnaissance du génocide par le responsable de l’Etat ottoman est en ligne de mire. Cet aveu, accompagné d’excuses, aura des conséquences considérables. Plus encore que la légitime de réparation qui en découlera, elle sera le pas ultime vers la justice, le pardon et l’oubli.
Le génocide reconnu
Voici la liste des Etats ayant reconnu le génocide arménien et la date de cette reconnaissance: Uruguay (1965), Chypre (1982), Argentine -1985), Arménie (1991), Bulgarie, Russie (1995), Grèce (1996), Belgique (1998), Italie, Liban, Suède (2000), France, Vatican (2001), Canada (2002), Suisse (2003), Pays Bas, Slovaquie (2004), Lituanie, Venezuela (2005), Chili (2007), Ecosse, Irlande du Nord, Pays de Galles (2010).
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