Guerre d’influence au Moyen-Orient : Bras de fer russo-occidental sur la Syrie
Posted by jeunempl sur février 5, 2012
Julien Abi Ramia – L’Hebdo Magazine
Alors que les affrontements se rapprochent de Damas, une solution diplomatique est-elle en train de voir le jour? Après avoir bloqué mardi le projet de résolution des Nations unies, porté par les puissances occidentales, Moscou travaille à une adaptation du dernier plan de la Ligue arabe que pourrait accepter Bachar al-Assad.
Le 28 janvier dernier, la Ligue arabe décide de suspendre sa mission d’observation en Syrie en raison de la «recrudescence des violences». «La décision de suspendre la mission des observateurs a été prise, après une série de consultations avec les ministres arabes des Affaires étrangères, en raison de la recrudescence des violences dont sont victimes les civils», a annoncé dans un communiqué le secrétaire général de l’organisation, Nabil al-Arabi. La veille, le chef de la mission d’observation de la Ligue arabe, le général soudanais Mohammed Ahmed Moustapha al-Dabi, avait déploré une augmentation «importante» des violences, en particulier à Homs, Hama et à Idleb. «La situation actuelle, en termes de violence, n’aide pas à préparer une atmosphère permettant d’obtenir que toutes les parties s’assoient à la table des négociations», principal objectif du plan arabe de sortie de crise. Al-Arabi accuse le régime syrien d’avoir «choisi l’option de l’escalade».
Blocage à l’Onu
Pour faire monter la pression sur le régime, le Conseil national syrien (CNS) et la Ligue arabe qu’al-Arabi semble codiriger avec le ministre des Affaires étrangères du Qatar, cheikh Hamad ben Jassem ben Jaber Al Thani ont décidé de porter l’affaire devant les Nations unies. Vendredi dernier, Paris, Londres et Berlin ont présenté au Conseil de sécurité un projet de résolution qui reprend les grandes lignes du plan, annoncé une semaine auparavant, par la Ligue. Ce plan prévoit un transfert du pouvoir du président Assad à son vice-président, le sunnite Farouk Chareh, avant l’ouverture de négociations avec l’opposition. La résolution exige également que le gouvernement syrien mette «immédiatement un terme à toutes les attaques et violations des droits de l’homme» contre sa population civile.
Mais la Russie s’y est vivement opposée. «Nous ne considérons pas ce projet de texte comme une base d’accord», a déclaré l’ambassadeur russe auprès de l’Onu, Vitali Tchourkine. «Cela ne veut pas dire que nous refusons de discuter. Nous avons indiqué quelles étaient nos lignes rouges», a-t-il expliqué en citant l’opposition de Moscou à «toute évocation de sanctions» et à «l’imposition d’un quelconque embargo sur les armes» vers la Syrie.
Après l’échec de «l’arabisation» des initiatives diplomatiques, qui devait permettre de balayer l’argument du régime sur un complot international, les puissances occidentales l’ont compris, c’est Moscou qui détient la clé de voûte de l’affaire. Pour infléchir la position russe, Jeffrey Feltman, le sous-secrétaire d’Etat américain, chargé du Proche-Orient, était à Moscou la semaine dernière. Les Etats-Unis ont assuré qu’il n’était pas question d’une intervention militaire similaire à celle en Libye l’année dernière. Le chef de la diplomatie française, Alain Juppé, qui était à New York en ce début de semaine, pour gagner la Russie à sa cause, a été rejoint par le président du CNS, Burhan Ghalioun. Pendant trois heures à la tribune du Conseil de sécurité, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton et son homologue britannique, William Hague ont appelé l’Onu à agir. Peine perdue.
Le plan russe
La Russie émet plusieurs reproches au projet franco-britannique. Le chef de sa diplomatie, Sergei Lavrov, a expliqué qu’il considérait comme irresponsables les déclarations des pays occidentaux sur l’impossible dialogue avec le régime de Bachar al-Assad. Dans un entretien avec la chaîne japonaise NHK, le ministre russe a accusé «certains membres du Conseil de sécurité de s’efforcer de convaincre l’opposition syrienne de ne pas engager de dialogue avec le pouvoir», qualifiant cette attitude de «provocatrice». Aux Nations unies, la Russie avait soumis un projet de résolution, articulé en trois points: Non aux ingérences étrangères, ouverture rapide d’un dialogue national sans conditions préalables et arrêt des violences d’où qu’elles viennent. Un projet, rejeté par les grandes puissances, pour cause de partialité. Mais, des grandes lignes du projet arabe pourrait émaner une «solution à la yéménite», dixit Lavrov.
Si une solution diplomatique venait à apparaître, elle porterait sur ces trois points. Les ingérences étrangères d’abord. Mardi, Damas a dénoncé les déclarations «agressives et aberrantes» des responsables occidentaux. «Les déclarations agressives américaines et occidentales contre la Syrie augmentent d’une manière scandaleuse. Elles coïncident avec la séance du Conseil de sécurité de l’Onu sur laquelle les Etats-Unis et leurs alliés comptent pour nuire à la Syrie», selon le communiqué du ministère syrien des Affaires étrangères diffusé par l’agence d’information Sana.
La solution médiane russe s’articule autour d’un dialogue qui réunirait régime et opposition sans conditions. En clair, avec un Bachar al-Assad encore en place. La Russie a proposé, ce lundi, d’accueillir à Moscou des discussions informelles entre pouvoir et opposition. Si Burhan Ghalioun, a posé comme condition préalable à toute négociation le départ du président syrien, des responsables russes ont expliqué avoir obtenu l’aval du régime sur le dispositif. Une lueur d’espoir diplomatique que la situation sur le terrain, extrêmement volatile, rend de plus en plus urgente.
Odeurs de guerre civile
Dans sa diatribe contre l’Occident, le régime explique que le coup de force des grandes puissances «coïncide également avec les coups durs portés depuis plusieurs jours par le régime aux groupes terroristes armés», selon le communiqué. Mais «la Syrie continuera de se défendre contre le terrorisme et entend faire échouer la politique, semant le chaos, adoptée par les Etats-Unis et les Occidentaux».
Selon des sources de l’opposition, citées par l’AFP le dimanche 29 janvier, quelque 2000 militaires, arrivés à l’aube à bord de convois d’autocars et de véhicules de transport de troupes ont été déployés autour des villes, dans la banlieue proche de la capitale. Les militaires envoyés en renfort dans le secteur de Ghouta, une banlieue à la périphérie orientale de Damas, étaient accompagnés d’au moins cinquante chars et autres blindés, ont rapporté des activistes. Ils viennent appuyer les troupes engagées dans les faubourgs de Sakba, Hammouriya et Kfar Batna, quartiers pris par des rebelles dans le courant de la semaine dernière et cibles, depuis samedi dernier, de l’armée régulière.
«C’est une guerre urbaine. Il y a des cadavres dans les rues», explique sur Internet un activiste de Kfar Batna. Un autre militant affirme que Sakba était soumis à d’intenses bombardements mais que l’armée se heurtait à une résistance acharnée de la part des rebelles. Cette offensive vise à endiguer la montée en puissance des milices rebelles de l’Armée syrienne libre (ASL), composées principalement de civils armés et de quelques déserteurs de l’armée régulière.
Aujourd’hui, les combats font de plus en plus de victimes et ce, des deux côtés. Rien que le week-end, et en vrac, l’Observatoire syrien pour les droits de l’homme indique que 41 civils ont été tués, dimanche, dans le pays: quatorze à Homs et douze dans la localité de Hama. Trente et un soldats et membres de forces de sécurité ont également trouvé la mort surtout lors de deux attaques d’insurgés dans la province d’Idleb dans le nord de la Syrie. L’agence officielle de presse Sana a fait état des funérailles militaires de vingt-huit soldats et policiers samedi et de vingt-trois autres dimanche. Il est désormais impossible de comptabiliser avec précision le nombre de morts.
D’où l’urgence d’une solution politique au conflit qui s’envenime dangereusement.
Un prêtre tué à Hama
Voilà qui confère à la guerre un caractère confessionnel. La semaine dernière, un religieux chrétien, Bassilius Nassar, a été tué par un «groupe de terroristes armés, alors qu’il portait secours à un homme qui avait été blessé dans le quartier de Jarajmé à Hama», selon l’agence officielle Sana, dans la ville de Hama, dans le centre de la Syrie, pays qui compte près de 10% de chrétiens.
Deux jours plus tard, un obus a été tiré contre un couvent de la région de Saydnaya. Le projectile a démoli un mur sans faire de blessés.
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