Liban – 2011: l’année des inattendus
Posted by jeunempl sur décembre 31, 2011
Julien Abi Ramia – L’Hebdo Magazine
En renversant en début d’année la majorité en sa faveur, le Hezbollah, malgré les couacs de la fragile coalition gouvernementale qu’il dirige, s’est assuré un précieux avantage dans le bras de fer qui l’oppose à la communauté internationale. Longtemps sonné, le 14 mars s’est magistralement relancé, grâce aux secousses syriennes du Printemps arabe.
Qu’elles semblent loin aujourd’hui, les discussions syro-saoudiennes. C’était il y a un an, presque jour pour jour. Les deux parrains, qui avaient repris langue, avaient imaginé un plan de sortie de crise, destiné à épargner au Liban les conséquences dramatiques de la mise en accusation, par le Tribunal spécial pour le Liban (TSL), du Hezbollah dans l’assassinat de Rafic Hariri. Les discussions de la dernière chance pour le gouvernement d’union nationale présidée par Saad Hariri. L’espoir n’a duré qu’un temps. Elles ont été littéralement torpillées. Sans les grands frères, la cohabitation devenait impossible. Le 12 janvier, l’opposition prend alors les devants en annonçant la démission de ses ministres. Le leader du Courant du futur est remercié. Pour la première fois depuis le retrait des troupes syriennes, le 14 mars est écarté du pouvoir. Pour le Hezbollah et ses alliés, le jeu en vaut la chandelle. L’opposition, le CPL en tête, qui se voit comme un parti de gouvernement, porte ainsi un coup monumental à ses adversaires et le Parti de Dieu se protège du Tribunal.
La bombe désamorcée du TSL
A l’origine, c’est pour cette raison que le Hezbollah décide de renverser la table. Il pare au plus urgent. A ce moment-là, la mise en accusation de quatre de ses membres et surtout, la façon dont le 14 mars gère la question, constituent des menaces qu’il ne peut pas négliger. Pour désamorcer la bombe, le parti pose sa stratégie. A grands renforts médiatiques, les travaux du «tribunal américano-sioniste» sont méticuleusement décrédibilisés. Investigations orientées, démissions en cascade, fuites dans la presse, conflits d’intérêt, manipulation des données, affaire des faux témoins, piste israélienne; c’est l’enquête et l’instance internationale que le Hezbollah remet en cause. De quoi instiller ce que le vocable juridique qualifie de doute raisonnable.
C’est grâce à ce travail de sape que la publication de l’acte d’accusation du TSL, qui devait être dévastatrice, a fait pschitt. L’effet de surprise torpillé et les preuves présentées par l’accusation remises en question. La justice suit son cours, les premières audiences techniques du TSL se sont tenues dans un certain anonymat. De toute façon, le Hezbollah ne lui reconnaît pas de légitimité. Leurs intentions sont ailleurs.
En réalité, le parti craignait surtout l’utilisation politique qu’aurait pu faire en interne le 14 mars de l’acte d’accusation, de la remise en cause de la Résistance aux anathèmes contre la Syrie et l’Iran. En devenant l’interlocuteur officiel du TSL, en sa qualité de responsable gouvernementale, le parti contrôle le calendrier du Tribunal. Lorsque le dossier de la contribution du Liban au TSL est arrivé sur la table du Conseil des ministres, le Hezbollah a fait montre de sagacité. En neutralisant les risques d’une utilisation mal intentionnée de la question, il en a fait une question strictement politique. Pour apaiser les membres bien en vue de sa majorité auprès de la communauté internationale, il a donné mandat au président de la Chambre, Nabih Berry, pour concocter la formule la plus consensuelle pour faire passer la pilule.
Mikati, l’homme de l’année
En acceptant de succéder à Saad Hariri, Najib Mikati a flairé le bon coup. Il a tout de suite compris que le fait qu’il soit le seul rempart à un retour aux affaires de son prédécesseur à qui Michel Aoun a délivré un billet simple était son plus gros moyen de pression. Au Grand sérail, il a su tout au long de l’année jouer de cet avantage. Ses menaces de démission ont toujours été prises au sérieux. C’est comme ça que le Hezbollah a fini par accepter le financement du TSL. Aux Oscars 2011 de la politique, le chef du gouvernement serait élu meilleur tacticien de l’année. En acceptant de prendre la suite de Saad Hariri, Najib Mikati prenait le risque de se couper de sa base tripolitaine. Mais en obtenant le financement du Tribunal, par ses relations saines avec la communauté internationale et en préservant le statut du directeur général des FSI Achraf Rifi, du directeur d’Ogéro Abdel-Menhem Youssef et des consorts sunnites au sein de l’administration, il a assuré l’essentiel.
Pour le Hezbollah, c’est du tout bénéfice. Avec Najib Mikati, il éloigne toute possibilité d’isolement, et en interne, il ne peut être accusé de trahir la communauté sunnite. Mais lorsque le chef du gouvernement et sa cohorte de ministres poussent le bouchon un peu trop loin, il est gentiment rappelé à l’ordre.
En amendant les projets de loi relatifs à l’électricité et au développement du réseau Internet, il a provoqué l’ire du CPL. Compromis d’accord, compromission pas question. Lorsque les propositions de ses ministres sont triturées, Michel Aoun n’hésite pas à monter au créneau et à critiquer la «gestion haririenne» du Premier ministre. Le Hezbollah tient tout autant, sinon plus, au CPL qu’à Mikati. Une position inconfortable qui, à plusieurs reprises, a causé de sévères secousses au sein de l’ex-opposition. A Rabié, l’affaire de la centrale de Zahrani et la désolidarisation des alliés chiites lors du premier vote sur la proposition Nahas portant sur les salaires a fait mal. La semaine dernière, l’erreur a été corrigée.
Tout se joue en Syrie
Au Liban, le Printemps arabe a eu une résonance particulière, loin du romantisme tunisien ou égyptien. Lorsque le Hezbollah et ses alliés ont pris le pouvoir, le 14 mars a vu la main de la Syrie et de l’Iran, celle de la dictature des armes. Au moment des premières manifestations en Syrie, l’opposition a senti le bon coup. Lorsque les premiers réfugiés ont commencé à affluer dans le nord du pays, elle a flairé l’aubaine. De ses quartiers d’exil parisien, Saad Hariri retrouve la voix. Sur les réseaux sociaux, havre de la démocratie. Pour soutenir le peuple opprimé par le vil Bachar. Majoritairement sunnite comme sa base. Pour raviver la fièvre de la révolution de 2005. La naissance d’une communauté de destin. Au Nord, le Courant du futur organise l’accueil. La région devient l’une des bases-arrières de l’insurrection. Pour faire tomber le Hezbollah, il faut passer par la Syrie. Le 14 mars a trouvé son angle d’attaque.
Au Liban, le Printemps arabe a eu une résonance particulière, loin du romantisme tunisien ou égyptien. Le Liban est un message, disait le pape Jean-Paul II. Dans le Sud, sur les routes empruntées par les forces françaises de la Finul, il devient une boîte aux lettres. Plusieurs explosions ont visé des convois de la force onusienne. La France accusera la Syrie et le Hezbollah. Dans les instances internationales, à la Ligue arabe et à l’Onu, la diplomatie libanaise soutient la Syrie. Au vu de l’envenimement de la situation en Syrie, Walid Joumblatt reprend ses distances.
La machine occidentale s’est remise en marche. Les Américains envoient des émissaires au Liban. Alors que le Hezbollah pensait avoir fait le plus dur en réunissant autour de lui un cordon sanitaire, les événements en Syrie sont venus corser son exercice du pouvoir.
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