Ziad Baroud : Ambition et réalisme
Posted by jeunempl sur décembre 3, 2011
Joëlle Seif – L’Hebdo Magazine
On n’a jamais vu au Liban un ministre quitter le pouvoir, plus populaire à sa sortie qu’à son entrée en politique. Rarement un ministre de l’Intérieur a fait autant l’unanimité autour de sa personne. Appuyé et respecté de tous les bords, Ziad Baroud a réussi l’impossible pari de rester à égale distance de tout le monde. Aujourd’hui hors du ministère mais pas loin de la politique, Ziad Baroud nous parle de son expérience, de sa vie loin du pouvoir et de ses ambitions.
Avocat de formation, Ziad Baroud fait ses premiers pas en politique dans le cadre de l’Association libanaise pour la démocratie des élections, dont il est le co-fondateur en 1996 et dont il est élu secrétaire général en 2004-2005. C’est dans ce cadre qu’il dirige une équipe d’observateurs, composée de 1350 personnes pendant les élections de 2005. C’est ensuite son action au sein de la Commission nationale pour la loi électorale présidée par Fouad Boutros qui fera parler de lui.
Où en est-il aujourd’hui? «J’ai le sentiment d’avoir récupéré ma vie. J’ai repris mon travail d’avocat. Ce n’est pas que je me plains des trois années passées au ministère de l’Intérieur. Bien au contraire, j’ai accumulé une très grande expérience qui m’a rendu beaucoup plus fort. Mais aujourd’hui, j’ai retrouvé ma liberté d’action qui m’est très chère. Je me sens bien. J’ai tenu jusqu’au bout. Je n’ai pas quitté au moment où les difficultés étaient grandes», confie Ziad Baroud. Et des difficultés, il en a connues le jeune ministre de l’Intérieur. Pour lui, l’affaire la plus critique demeure la disparition de Joseph Sader. «Je me sentais totalement impuissant. Je n’avais pas la moindre indication. Je ne savais pas quoi dire à sa famille», se souvient l’ancien ministre. Les émeutes de Roumié étaient aussi un cas très épineux. «Je persiste à croire que c’est une affaire politisée qui n’était pas liée aux conditions de vie des prisonniers», affirme Baroud.
A égale distance
Bien que bénéficiant du soutien du président de la République, Ziad Baroud entretient de bonnes relations avec le général Michel Aoun sur le plan personnel. Pourtant, après les élections parlementaires de 2009, un ministre de l’Intérieur à égale distance de tout le monde n’était plus de mise. Les critiques pleuvaient de partout, chaque bord essayant d’amener le ministre de son côté. «Je devais prendre position mais je ne l’ai pas fait». Ceci expliquerait-il sa sortie du gouvernement? «On ne m’a pas fait sortir du gouvernement. C’est moi qui ai quitté. Avec le recul, je me dis que je ne pouvais pas faire mieux. Je n’appartenais à aucun courant, je ne bénéficiais d’aucun appui politique sans compter que le rôle pour lequel j’étais désigné n’était plus là. Aujourd’hui, je suis encore dans la politique mais pas dans le cadre ou j’étais». Qu’a-t-il tiré de cette expérience? «J’ai passé trois ans au ministère de l’Intérieur, dans deux gouvernements successifs, pendant une période très intéressante où l’on a connu des élections municipales et des élections parlementaires, qui se sont déroulées en un seul jour. Le Tribunal spécial pour le Liban… C’était une grande expérience au niveau de la gestion électorale, du Conseil des ministres, de l’exercice de la fonction parlementaire. J’ai appris les méandres de la politique et j’ai démasqué beaucoup de gens. L’Intérieur donne une connaissance approfondie des choses», confie l’ancien ministre.
Ses relations avec l’Union européenne et les Etats-Unis sont excellentes et souvent on dit que Ziad Baroud bénéficie de leur appui. «Cela est dû à ma profession même. Je suis consultant auprès des Nations unies et avocat de certaines agences comme le Pnud et l’Unicef. Ceci crée des relations privilégiées», explique Baroud. D’ailleurs, quand la décision de tenir les élections législatives en un jour sera prise et face à un appareil étatique des plus réduits, Ziad Baroud n’hésitera pas à faire appel à toutes ses relations, réclamant pour son ministère des apports en nature et refusant tout apport en numéraire.
La politique on ne s’en sort pas
A 40 ans, la carrière politique de Ziad Baroud ne fait que commencer. Son ambition est grande et les espoirs placés en lui sont encore plus grands. Un peu comme un virus dont on ne guérit pas, pour lui, la politique on ne s’en sort pas. «La politique est beaucoup plus large qu’un siège parlementaire ou ministériel», affirme Baroud. Peut-on le voir un jour président de la République? «Ce n’est pas une question à l’ordre du jour. C’est très prétentieux de ma part de lorgner titre pareil. J’ai gardé la tête sur les épaules pendant ces trois années, ce qui est très important en politique, d’autant plus que je ne suis ni arrogant ni prétentieux de caractère, d’après ce que disent mes proches du moins», répond en souriant Ziad Baroud. D’ailleurs, selon l’ancien ministre, la tâche la plus difficile est celle du président qui, dans les circonstances actuelles, ne dispose ni de pouvoirs ni de prérogatives.
Se présentera-t-il aux élections législatives en 2013? «Je ne dis pas non, je ne ferme pas la porte mais ayant vécu ce que j’ai vécu, je pense avoir le droit de choisir le moment et de poser non les conditions mais les circonstances selon lesquelles je pourrai trancher dans le sens d’une candidature ou non», confie Baroud. Qu’entend-il par circonstances? «Ces circonstances sont celles qui me permettraient de ne pas être de trop dans une liste. Je ne suis pas prêt à faire des concessions pour être député, ce qui aboutit pratiquement au Liban à rester chez soi. Je suis bien là où je suis et je n’ai rien à prouver. Pour moi, la députation n’est pas un privilège ou un couronnement de carrière. C’est un exercice politique par excellence qui pourrait être intéressant dans le cadre d’un groupe politique qui reflète ce que les gens souhaiteraient voir». De toute façon, d’après Baroud, 2013 c’est dans quelques mois mais c’est aussi encore très loin et beaucoup de choses peuvent changer d’ici la. «Dans la circonscription à laquelle j’appartiens, le vote est politique, contrairement à ce que l’on croit. Ceux qui pensent que c’est lié aux services et au clientélisme se trompent lourdement. C’est sur cette réalité que je me base, car je ne voudrai pas figurer parmi ceux qui font la politique des faire-part», conclut Ziad Baroud.
Sa vie privée
Marié a Linda Karam, Ziad Baroud est père de trois enfants, un garçon et deux filles: Théo-Raphaël (4 ans et demi), Elsa-Karol, en hommage au pape Jean-Paul II (3 ans) et Ayla-Maria (1an). Depuis qu’il est loin du ministère, Ziad Baroud leur consacre plus de temps. «Je vais souvent faire du vélo avec Théo sur la corniche et avec Elsa je vais fréquemment à l’ABC», confie Baroud. Pour garder la forme, l’ancien ministre fait du jogging quand son emploi du temps le permet. «Avec mon capuchon sur la tête, personne ne me reconnaît», dit-il en souriant. Avec ses parents, il a une relation privilégiée. «Aujourd’hui, je réalise à quel point ils étaient inquiets et combien ils se faisaient du souci pour moi». Avec Jeïta, sa ville natale, Baroud a gardé des liens et c’est presque chaque semaine qu’il s’y rend.
L’obligation
Sa principale réalisation reste incontestablement la liberté de déclarer l’appartenance religieuse sur les cartes d’identité, sans compter le fait d’avoir ouvert les portes du ministère aux citoyens et à l’information. Les élections législatives en un seul jour étaient un défi qu’il a réussi. A son actif quelques propositions votées en Conseil des ministres, mais qui ont échoué au Parlement, comme la proportionnelle pour les municipales, le système de quota, et les bulletins préimprimés. «Au Liban, personne n’accomplit des réalisations, c’est à peine si on réussit à faire notre devoir. Le fait d’appliquer la loi n’est pas un exploit. C’est une obligation» affirme Baroud. De cette période cruciale, riche en événements, Ziad Baroud confie: «Je ne garde aucune rancune à l’égard de qui que ce soit. J’ai appris en politique que la haine engendre l’échec». Une leçon que beaucoup devrait apprendre et surtout retenir…
Ministre des cœurs
C’est un fait. Les Libanais ont élu Ziad Baroud ministre des cœurs. D’ailleurs, avec plus de 120000 fans sur sa page facebook, cela est indéniable. Quel sentiment cela lui procure-t-il? «Cela me responsabilise encore plus. Je veux être digne de la confiance que tous ces gens ont placée en moi. Aujourd’hui, quand je vais au supermarché, les gens m’abordent tout simplement et me parlent en toute confiance. Je sais qu’ils sont sincères car ils n’ont aucun intérêt. Je ne suis plus au pouvoir, ajoute-t-il en souriant». Et c’est alors qu’il est loin du pouvoir que le 12 octobre 2011, l’ambassadeur de France au Liban Denis Pietton lui remet les insignes d’officier de la légion d’honneur, au nom du président de la République française, affirmant que «l’impartialité, l’intégrité et le dynamisme sont les qualités fortes de M. Baroud».
Ce qu’il en pense
Facebook: C’est un organe vital pour la communication politique et permet une interaction avec les gens. «J’aime savoir ce que les gens pensent. Du temps où j’étais ministre, j’assurai un suivi de toutes les requêtes».
Les tribunaux libanais: «Je souhaite que les tribunaux deviennent une priorité de l’Etat. La justice est la garantie la plus sûre: une justice rapide mais aussi une structure étatique qui exécute les décisions de justice».
L’Emigration: l’émigration n’est plus désormais économique, elle est devenue culturelle. «Beaucoup de personnes émigrent car elles ne se retrouvent plus dans ce pays, ce qui est d’autant plus grave».
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