Mouvement pour le Liban

Représentant le Courant Patriotique Libre en Belgique

Liban : les dégâts invisibles des guerres

Posted by dodzi sur novembre 3, 2011

RTBF

Par W. Fayoumi

Onze ans après la fin de la guerre de 2006, qui a vu une partie du pays dévastée par les bombardements israéliens, le Liban n’en finit pas de se reconstruire. Malgré la situation politique instable et la crise économique, les traces de son histoire difficile s’effacent avec les années. Mais les cicatrices de la société libanaise restent bien présentes, dans des endroits moins visibles.

La voiture nous mène vers le quartier de Bourj-al-Barajneh, dans la banlieue sud de Beyrouth. Ici se concentre une grande partie de la population pauvre de la capitale. En majorité chiites, les habitants vivent dans un entrelacs chaotique de constructions en partie détruites. Des fils électriques forment une toile improbable, pendant sur les murs, traversant le ciel au-dessus des rues animées.

C’est là que nous allons, à l’hôpital dirigé par la Société du Croissant rouge palestinien (PRCS) et par l’UNRWA (Office de secours et de travaux des Nations-unies pour les réfugiés). MSF y tient, depuis 2008, des consultations en santé mentale. « Après la guerre de 2006, le constat était effrayant. Le fossé entre les besoins et ce qui existait sur le terrain était énorme« , explique Fabio Forgione, responsable du projet de santé mentale communautaire, initié en 2008.

Selon une enquête de l’OMS (Organisation mondiale de la santé), menée avant le conflit, 49% de la population du Liban avait un lien direct avec les dégâts humains et matériels liés aux divers combats armés, et 17% était atteinte de troubles mentaux.

A Bourj-el-Barajneh, les traumatismes mentaux sont encore plus endémiques. 25% des réfugiés palestiniens dans le camp souffriraient de séquelles psychologiques ou psychiatriques nécessitant un suivi. Il y a surtout l’histoire du camp, suite violences armées incessantes : siège par l’armée israélienne et les milices phalangistes en 1982, blocus des milices pro-syriennes en 1984, bombardements en 1994 et en 2006…

Des violences cachées

Hala Yahfoufi est psychothérapeute. Son rôle, au début de la mission, consistait à faire accepter la prise en charge psychologique par le personnel soignant : « Une personne dérangée ou en détresse psychologique était simplement mise dehors; je devais intervenir auprès des infirmières, faire attention au traitement réservé aux patients…« . Dans une société où la communauté jouait un rôle de protection, il reste difficile de parler de la détresse psychologique. La stigmatisation est souvent la règle.

Mais le bouche à oreille a fonctionné : cinquante nouveaux patients par mois sont accueillis les consultations tenues dans le camp et à l’extérieur. Ils viennent sur le conseil d’un voisin, d’un membre de la famille, mais aussi d’associations de martyrs ou de blessés de guerre. « Sans des personnes ou des groupes de référence, ce serait impossible« , Stéphanie Giandonato, responsable des opérations sur le terrain, a dû négocier la présence des services avec les partis politiques du quartier.

Hala va mettre un foulard sur ses épaules, à l’heure des consultations : « Les gens doivent aussi se sentir en confiance« , car la démarche reste difficile. Des femmes victimes de violences sexuelles ou domestiques, des familles fragilisées ; les cas traités ici sont souvent lourds. Les parents restés, loin, au pays, et le statut de réfugié, sorte de sous-citoyenneté au Liban, font porter un poids supplémentaire sur les Palestiniens des camps.

Le handicap social et celui de la guerre

« Pour une majorité de patients, il s’agit de cas de dépression plus ou moins grave, souvent profonde. On observe aussi beaucoup de patients atteints d’anxiété. Dans les situations les plus sévères, il s’agit de schizophrénie ou de psychose« , explique Stéphanie Giandonato. Dans les locaux de MSF, à quelques rues du camp, les bruits de la banlieue sont assourdis. Le bâtiment se trouve derrière l’hôpital de la municipalité, géré par le Hezbollah. « Beaucoup de femmes consultent dans le camp, mais ici, c’est une majorité d’hommes qui sont reçus par les psychologues et les psychiatres« . Il est devenu courant qu’un ancien milicien soit envoyé par le parti pour se faire soigner ; chose impensable il y a encore quelques années.

Les dégâts causés par les multiples conflits armés ont aussi fragilisé une population déjà défavorisée. Dans des habitations où s’entassent parfois dix personnes dans un espace réduit, il est simplement difficile de s’occuper de soi, de sa famille. Des assistantes sociales parcourent les rues de la banlieue, sonnent aux portes. Leur rôle : rassurer, expliquer et amener les personnes qui en ont besoin à franchir le pas. « Les symptômes sont parfois très simples : des enfants délaissés, sales et mal nourris, sont parfois le signe que la mère va très mal. Dans une société où la famille est importante, ça peut être inquiétant« .

Le projet de MSF ne s’adresse pas aux enfants. Mais les psychologues de l’équipe confirment des constats dressés par d’autres professionnels. Le pourcentage d’enfants atteints de troubles de l’attention ou d’hyperactivité est plus élevé au Liban que dans d’autres pays. Des cas importants de dépression ou d’isolement volontaire sont aussi observés, comme des réactions de violence chez certains. Selon une étude publiée en 1999 sur les traumatismes liés à la guerre, il apparaît que les enfants socialement défavorisés, et qui vivent dans des familles atteintes psychologiquement par le conflit, vont plus souvent développer des troubles du comportement que d’autres. Ce qui est le cas des enfants de Bourj-al-Barajneh.

C’est l’heure de la réunion d’équipe. Nous quittons Bourj-al-Barajneh, et la voiture nous emmène loin des ruelles de la banlieue. « J’ai vu les corps de tous les membres de ma famille déchiquetés. C’était en 1996, à Qana« . Les paroles d’Issam, le chauffeur, sonnent doucement dans le brouhaha de la ville : « Et je les vois encore aujourd’hui« . Une phrase qui résume la souffrance de toute une population.

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