Au Liban, l’association KAFA à l’écoute des hommes violents
Posted by dodzi sur octobre 27, 2011

Peut-on établir un profil type de l’homme violent ?
L’homme violent est très souvent un individu n’arrivant pas à s’inscrire dans la société dans laquelle il évolue, qui n’accepte pas la « résistance du réel », c’est-à-dire que la réalité s’oppose à sa volonté, qu’il n’est pas acteur de sa propre vie. Il rencontre des frustrations dans sa vie quotidienne, surtout dans la vie active où il n’est pas maître de son existence et répond aux exigences de ses supérieurs par exemple, mais aussi aux pressions que peut exercer l’entourage familiale. Ainsi, le seul théâtre où son « pouvoir d’homme » peut s’exprimer reste la sphère domestique. La violence représente ainsi le seul moyen de s’imposer, la domination physique exercée sur la compagne représente une prise de contrôle que l’homme a perdu dans toutes les autres sphères de son existence. Il s’agit d’un véritablement défoulement, subi par sa partenaire.
La seconde raison qui peut être avancée relève des images préconçues que véhiculent les médias et la société sur les hommes, ce que j’appelle « la masculinité hégémonique ». Ce concept recouvre plusieurs aspects, d’abord la nécessité de virilité pour un homme, la preuve de sa puissance mais surtout la non expression de ses sentiments. Un élément qu’on relève chez l’homme violent à un degré encore plus marqué que chez la majorité des hommes est en effet sa très grande difficulté à percevoir ses émotions et à les verbaliser. Cette insensibilité superficielle se fissure face à la compagne et les émotions s’expriment alors par la violence. L’homme violent est coincé dans une définition étroite du rôle d’homme qui lui a été enseigné. Il se sent directement menacé par toute modification de cette image traditionnelle à laquelle il cherche à s’accrocher à tout prix pour maintenir son estime de lui-même. L’homme violent est aux prises avec une éducation qui a renforcé d’une manière rigide des comportements stéréotypes qui incitent à la coercition des femmes.
Dans quels cas la violence est-elle particulièrement exacerbée ?
Les violences s’expriment d’autant plus sur les femmes occupant un emploi. En effet, lorsque la femme travaille, la dynamique change puisque le rôle de « bread winner » change de personnage. On assiste à un glissement de ce rôle de l’homme vers la femme, celui-ci partage alors cette « prérogative », ainsi cette perte de pouvoir économique se compense par des violences envers la partenaire. On parle alors de « crise de la masculinité hégémonique » qui nourrit la violence envers les femmes.
On peut aussi mettre en exergue le fait que l’homme violent a souvent été enfant battu, élevé dans une atmosphère de violences domestiques. Il reproduit alors le schéma parental au sein de son foyer.
Que proposez vous à ces hommes violents ? Quels en sont les résultats ?
Dans notre clinique, il s’agit surtout d’apporter un soutien psychologique à ces hommes. D’une part en mettant des mots sur les diverses difficultés qu’ils traversent, qu’elles soient économiques, sociales ou sentimentales. Le but est l’expression des ressentis et des sentiments, une sorte de mise à nue sentimentale.
D’autre part, nous visons à leur faire exprimer les raisons de leurs actes de violence sans jugement de valeur pour arriver au meilleur résultat possible. L’objectif est de lui apprendre à dominer sa possessivité, ses accès de violence. Cependant, le traitement psychologique représente une infime minorité d’hommes violents, en effet, en un an, la clinique n’a traité que neuf cas. Cette participation presque anecdotique s’explique surtout par la difficulté d’avouer que l’on a été violent envers sa femme, envers la mère de ses enfants.
Il faut souligner également que consulter un psychologue reste tabou au Liban, en effet, cela est généralement synonyme de folie dans l’esprit de la plupart des Libanais. C’est pourquoi, la loi proposée par KAFA sur les violences domestiques, actuellement en discussion au Parlement, stipule que la consultation d’un psychologue deviendrait obligatoire pour les hommes violents (en arabe : http://www.kafa.org.lb/FOAPDF/pdf5-13.pdf).
Nous agissons aussi pour prévenir la violence envers les femmes, ainsi, depuis 2009, nous avons intégré nombre d’hommes dans la lutte pour l’égalité entre hommes et femmes afin qu’ils en saisissent les enjeux et que l’on parvienne à des résultats probants contre les violences domestiques. De plus, nous attendons une juridiction plus stricte émanant de la loi que nous avons proposé bien qu’elle ait déjà subi des amendements majeurs : le déni de l’existence du viol conjugal, pas de distinction entre les violences faites aux hommes et aux femmes. Nous craignons que la loi ne perde son essence d’origine, c’est-à-dire une vraie protection spécifique aux femmes.
Y a-t-il des catégories de population davantage touchées que d’autres?
Les violences faites aux femmes, qui sont généralement de plusieurs types, économique, psychologique, physique ou sexuelle, touchent toute les catégories de la population. Les hommes violents, généralement âgés de 30 à 50 ans, se retrouvent dans chacune des communautés libanaises. L’associer à une classe sociale précise, entre autres à la pauvreté ou au manque d’éducation, représente une idée reçue et surtout une erreur. Le portrait caricatural de la brute est une intervention populaire qui nous empêche de voir la réalité. L’homme violent se retrouve dans toutes les couches de la société et ce proportionnellement à la distribution des divers groupes et sous-groupes sociaux.
On note cependant une violence particulière au sein des populations réfugiées, nous recevons surtout des réfugiés Irakiens. A toutes les raisons évoquées ci-avant, s’ajoute le rejet de la part de la société ainsi que le statut précaire de réfugié. Les violences masculines ne sont pas caractéristiques d’une communauté ou d’une nationalité, mais plutôt d’un statut, d’une position au sein de la société. La violence n’est qu’un symptôme. Une fois qu’elle est identifiée et reconnue, il faut pouvoir modifier les relations qui la font surgir et qui la légitiment.
Qu’attendez-vous de la part de la puissance publique ?
Je crois d’abord qu’il faut que la loi proposée par KAFA soit adoptée sans amendements, elle préconise une mise en place de structures de soins dans le Liban tout entier. Nous attendons un réel engagement de la part de l’État libanais. De plus, il est nécessaire de prendre en charge les femmes ayant porté plainte contre leurs maris violents pour qu’elles ne soient pas victimes de représailles.
Il est indispensable d’instituer de nouvelles structures et de nouvelles directives pour incriminer la responsabilité des agresseurs, mais aussi de former le personnel compétant concernant les violences à l’égard des femmes tels que les forces de sécurité, les juges, les avocats, le personnel de santé. Il serait préjudiciable de se cantonner à la condamnation des coupables, en effet, il faut s’atteler à la réinsertion des condamnés pour éviter les récidives et mettre en place des mesures préventives pour lutter contre la violence. Tout ce dispositif nécessite des moyens dont nous ne disposons pas, mais que l’État, s’il est volontaire, pourrait assumer.
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