Le choix difficile du président libanais
Posted by jeunempl sur mai 22, 2011
Avec tout le respect qui lui est dû, autant qu’à sa fonction, force est de constater que le président Michel Sleimane peine à imposer sa marque sur l’échiquier politique libanais.
Le général Sleimane a été porté à la présidence du pays en 2008 comme le plus petit dénominateur commun de l’Union nationale – mais emblématique de par l’attachement viscéral des Libanais à leur armée, dernier symbole de probité et d’union nationales. Invité à exercer la fonction suprême après avoir fait vœu de « chasteté politique », il cède au charme du pouvoir et rompt avec son engagement solennel.
Dans les trois ans qui ont suivi son élection, et malgré toutes ses promesses de neutralité, il s’implique et implique avec lui l’appareil de l’Etat dans les élections législatives en 2009 et les municipales de 2010. Il fut mal inspiré par ses courtisans, car à part la municipalité de Byblos, il perdra sur tous les fronts. Son leadership et son choix des hommes sont désastreux : preuve en sont les ministres qui étaient censés le représenter au sein du cabinet d’union nationale de M. Saad Hariri, et qui l’ont par la suite, qui lâché, qui médit de lui, et qui été profondément déçus par son incapacité à les soutenir face à la mise sous coupe réglée de l’appareil et des institutions de l’état par le clan Hariri.
Sa détermination sous des dehors effacés et sages, et sa ferme obstination à coller à la lettre de la Constitution en refusant de cueillir le pouvoir rendu vacant par le départ du président Lahoud, lui gagnèrent bien des sympathies à l’orée de son mandat. En effet, il préférera attendre qu’on lui organise un plébiscite parlementaire sous strict contrôle international, avant de déménager ses bureaux du ministère de la défense au Palais de Baabda. Ce faisant, il ignora superbement les appels de tous ceux qui entretemps le pressaient pour le bien du pays, le suppliaient presque, de combler le vide constitutionnel – celui du grand homme et journaliste Ghassan Tuéni, connu pour son opposition à l’accession des militaires au pouvoir, n’étant pas le moindre.
Depuis, le vent a tourné. Le 11 janvier, le gouvernement Hariri est forcé de démissionner après quatre mois de chômage technique imposé par le tandem Sleimane-Hariri pour protéger de jugement des faux-témoins notoires. Le 10 février, madame Eliana Ross, la présidente de la Commission des affaires étrangères au Congrès reconnut que les Etats-Unis avaient eu tort d’appuyer le clan Hariri père et fils ; or la sujétion de la présidence de la république en était la clé de voûte. Ainsi libéré, Sleimane va donc essayer de consolider sa position et pourquoi pas, mettre la main au passage sur la partie chrétienne du système Hariri. M. Nagib Mikati fraîchement désigné Chef de gouvernement sera le premier à en faire les frais.
Arrivé au poste qu’il a de tout temps convoité (il a été le seul homme politique sunnite à avoir de tout temps ouvertement dévoilé son ambition), il voit son action immédiatement paralysée, et est empêché par intimidation constitutionnelle de former son cabinet ; plutôt que de s’appuyer sur la majorité qui l’a porté au pouvoir et trancher, il ne trouva d’autre tactique pour marquer son territoire que de s’abstenir d’exercer son autorité – décidément une bien fâcheuse spécialité des chefs de gouvernement libanais quand ils sont dépassés par les événements. Le président s’engouffre dans le vide de l’inaction pour interpréter l’accord de Taëf à sa manière et tenter de forcer un nouvel état de fait en réclamant sa « part » des portefeuilles ministériels. Le résultat est l’impasse et l’incapacité à former un gouvernement que le Liban subit aujourd’hui.
ÉCHECS
Force est de constater aujourd’hui que le président Sleimane a échoué dans sa mission de rassembler les libanais. Il a échoué à se créer une base populaire qui soutient son action. Il a échoué dans son ambition de diviser les rangs chrétiens pour régner. Il a échoué dans sa tentative de rallier les chrétiens sans appartenance politique à ses positions. Il ne lui reste plus qu’une interprétation contorsionnée de l’esprit de la constitution, pour essayer de peser sur un gouvernement qui aurait dû naître d’une majorité claire cent jours plus tôt.
Face à cela, il serait probablement utile pour lui de méditer sur deux exemples politiques qui pourraient probablement l’inspirer, à défaut d’écouter les courtisans et autres conseillers qui l’entourent :
Le premier qui finit bien se passa en France : En 1985, le président François Mitterrand usé par quatre années de politique économique désastreuse, sent le vent électoral tourner contre lui. S’appuyant sur la vague rose qui a donné la majorité parlementaire aux socialistes au lendemain de sa victoire en mai 1981, il abroge le mode de scrutin et instaure la proportionnelle pour les législatives de 1986. En vieil habitué des manigances de la quatrième république, il espérait surfer sur un parlement éclaté, sans majorité claire, et continuer ainsi à régner en préparant les présidentielles de 1988.
Il eut tort, et une majorité de droite l’obligea à faire face à un dilemme auquel la constitution du régime présidentiel de la Ve n’avait pas mis un cadre clair. Il s’en sortit en restant à l’Elysée mais en cédant le gouvernement à un cabinet de droite présidé par Jacques Chirac. Deux autres cas de cohabitation suivirent : Mitterrand-Balladur et Chirac-Jospin, dont la France s’est tirée sans trop de mal. François Mitterrand en sortit grandi, fut élu pour un nouveau septennat, et des années après sa disparition, est toujours perçu comme ayant été un formidable président, même par ses adversaires les plus farouches.
Le second exemple, quant à lui, se termine mal : En 1943, le président Béchara El-Khoury soutenu par les Britanniques brisa l’entente chrétienne et, fort de l’appui phalangiste que feu Pierre Gemayel déclara avoir regretté amèrement par la suite, força un Liban vulnérable hors l’aile protectrice d’un mandat français bienveillant, et vers une indépendance boiteuse. Ayant usé neuf chefs de gouvernements durant ses neuf ans de pouvoir, il fut forcé à démissionner par une rue unie contre le népotisme qui caractérisa son mandat et la montée en puissance d’un pouvoir parallèle et d’une corruption généralisée menés par son frère le surnommé Sultan Salim.
Le sort que l’Histoire réserva à Khoury est fort cruel à constater l’ampleur du néant qui engloutit sa carrière politique, ainsi que l’effritement total du parti du Destour qui le porta jadis au pouvoir. A ce propos, qui pourra dire que la guerre oubliée de 1958 qui fit la bagatelle de cinq mille morts en dix semaines, n’était pas en partie inspirée par le succès du soulèvement populaire en 1952 qui fit basculer le règne de Khoury ?
Aujourd’hui les choix sont clairs : ou le président regagne la fonction qui lui a été confiée dans le cadre de neutralité qui lui a été assignée, et il en sort grandi. Ou il se condamne à continuer une stratégie de diviser pour régner qui a fait long feu et qui l’enfermera inexorablement dans la situation d’échec où il s’est engouffré. Gageons qu’il saura bien choisir, et qu’il ne fera pas figure de mauvais perdant.
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