Ni solution ni explosion, mais un malaise persistant…
Posted by jeunempl sur décembre 17, 2010
(L’Orient le Jour)
Alors qu’avant la maladie du roi Abdallah, le compromis entre les deux camps adverses au Liban semblait à portée de main, les cartes paraissent aujourd’hui totalement mélangées. Les déclarations du président syrien Bachar el-Assad à Paris sur la nécessité de trouver une « solution libanaise » à la crise actuelle sont venues confirmer le malaise général et l’impression qu’un grain de sable s’est glissé dans la machine déclenchée le 29 juillet au cours du sommet syro-saoudien à Damas suivi du sommet tripartite à Beyrouth.
L’ultimatum (aussitôt retiré d’ailleurs) de Mohammad Raad, suivi des discours d’une rare violence tenus à Tripoli par des figures salafistes et par des personnalités proches du Courant du futur, en présence du responsable de ce courant le Dr Moustafa Allouche, a jeté de l’huile sur le feu, donnant une dimension dramatique au blocage politique et institutionnel actuel. Que s’est-il donc passé pour qu’après le petit vent d’optimisme, le baromètre est de nouveau à la tempête ? En dépit des déclarations qui se veulent rassurantes de plusieurs responsables et en particulier du trio des ambassadeurs (Syrie, Iran et Arabie saoudite) dont les rencontres sont devenues un événement important de la vie politique libanaise, il semble que les efforts syro-saoudiens connaissent actuellement un certain ralentissement. Selon des sources libanaises proches de la Syrie, à la veille de sa maladie, le roi Abdallah d’Arabie était convaincu de l’importance de conclure au plus tôt une entente entre les Libanais, non seulement par souci du Liban, mais aussi dans le cadre d’une redistribution des cartes régionales. Avec les problèmes au Yémen, la quasi-mise à l’écart de son candidat en Irak Ayad Allaoui, ainsi qu’avec l’échec programmé des négociations israélo-palestiniennes, le roi d’Arabie ne voulait pas que son allié au Liban, Saad Hariri, perde le pouvoir. Ayant compris qu’une entente protégerait celui-ci ainsi que les intérêts qu’il représente, il poussait dans ce sens et exigeait même un compromis qui aille au-delà de la crise de l’acte d’accusation pour porter sur la composition du pouvoir au Liban et garantirait l’avenir politique de Hariri et de son courant. D’ailleurs, en raison de l’importance de ce dossier, le monarque a refusé de le confier au ministre saoudien des AE l’émir Séoud al-Fayçal (qui est en quelque sorte la bête noire des Syriens) ou à son neveu l’émir Bandar, préférant le garder entre les mains de son fils l’émir Abdel Aziz, qui en connaît les subtilités et surtout l’importance. Mais du fait de leur présence à tous deux aux États-Unis pour le traitement médical du roi, les contacts se sont ralentis et restent limités à des entretiens téléphoniques. En même temps, le roi aurait procédé à une relecture de la situation et aurait tendu l’oreille à ceux qui, autour de lui à New York, lui disent qu’il est allé trop vite, trop loin et qu’il faudrait peut-être ne pas céder une carte aussi importante qu’une prise de position du Premier ministre Hariri au sujet de l’acte d’accusation sans une contrepartie importante, qui pourrait même dépasser les frontières libanaises. Aidé en cela par sa maladie, le roi a donc décidé de prendre son temps pour réfléchir, rassuré toutefois sur le fait que grâce à la procédure qui exige une approbation du juge de la mise en état, l’acte d’accusation du TSL ne devrait pas être publié avant le mois de février. Ce qui laisse un délai pour la réflexion et les négociations.
C’est donc dans ce sens qu’il faudrait interpréter les dernières déclarations du président Assad qui ont clairement laissé entendre que les efforts syro-saoudiens étaient plus ou moins au point mort. C’est aussi dans ce sens qu’il faut comprendre la soudaine escalade dans les propos des différents protagonistes libanais. Toutefois, lorsque Mohammad Raad a été trop loin en faisant croire qu’il n’y a plus que quelques jours pour trouver un accord, il a été contraint à rectifier ses propos, assurant qu’il ne lançait pas vraiment un ultimatum. La vérité, c’est qu’en dépit du ralentissement dans leurs contacts avec le roi, les Syriens ne sont pas décidés à passer à l’étape de la rupture, d’abord parce qu’ils continuent de croire à une issue positive de ces contacts en misant sur le fait que l’intérêt des deux camps est dans une coopération approfondie, et d’autre part parce qu’il n’y a pas pour l’instant d’autre alternative, sinon l’explosion généralisée, qu’aucune partie ne souhaite vraiment. Le Qatar, la Turquie, la Syrie et l’Iran, ainsi bien sûr que l’Arabie saoudite sont formels sur ce sujet : aucune partie ne doit provoquer une déstabilisation du Liban. Au moins jusqu’à la publication de l’acte d’accusation. Car, après cette échéance et si cet acte implique des membres du Hezbollah, ce dernier considérera qu’il est pris, ainsi que le Liban, pour cible et qu’il doit donc se défendre. Le président Assad aurait même déclaré à son homologue français Nicolas Sarkozy, au cours de leur dernière rencontre, qu’après la publication de l’acte d’accusation, il ne faudra pas lui demander d’exercer des pressions sur le Hezbollah…
En attendant le jour « J », qui ne serait donc pas imminent, toutes les violences verbales ne servent qu’à alimenter la tension et à tenter d’améliorer les conditions du compromis à venir. Si, à Tripoli, elles ont eu l’air de dépasser les limites de l’acceptable, c’est que dans la capitale du Nord, une lutte intestine oppose les composantes de la famille salafiste. Les proches du Courant du futur accusent le Hezbollah de vouloir provoquer une discorde intersunnite, alors que les salafistes opposés à ce courant accusent ce dernier de vouloir les phagocyter. L’enjeu est donc sunnite interne, d’autant qu’au sein même du Courant du futur, les tiraillements sont permanents, à Tripoli en particulier où il a du mal à se positionner entre une tendance modérée et une autre extrémiste. Mais comme le dit un dignitaire religieux de la ville : « Ces dérapages verbaux ne s’accompagnent d’aucun préparatif militaire sur le terrain. Ils révèlent simplement le malaise que vit le Courant du futur qui veut rassembler les sunnites dans toutes leurs divergences… »
En résumé, l’équation à la veille des fêtes de fin d’année se résume ainsi : ni solution ni explosion, mais un malaise persistant et un répit ouvert à toutes les négociations.
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