Mouvement pour le Liban

Représentant le Courant Patriotique Libre en Belgique

Dans les méandres d’un parti secret : Les 1001 vies du Tachnag

Posted by jeunempl sur juillet 26, 2010

Tigrane Yégavian – L’Hebdo Magazine

Un sigle, trois initiales en arménien, une abréviation en arabe, la FRA: Fédération révolutionnaire arménienne Tachnagtsoutioun (en français «fédération») – ou parti Tachnag, tel qu’on le connaît au Liban. Celui-ci est probablement le plus ancien parti politique existant au pays du Cèdre. Magazine revient sur l’histoire de ce parti aux multiples visages.

Depuis des lustres, le Tachnag fait la pluie et le beau temps dans son fief de Bourj Hammoud ainsi que dans la localité de Anjar, dans la Békaa. Soupçonné par ses adversaires de demeurer dans l’opacité, il n’en reste pas moins un parti incontournable au sein de l’arène politique libanaise et il en est bien conscient. Après avoir encaissé une lourde défaite aux législatives de 2009, il réapparaît en forme aux municipales de 2010.

La FRA, qui fit ses premières armes contre les Ottomans et les Tsaristes, n’en demeure pas moins un acteur engagé dans le combat pour la défense de la cause arménienne. De nos jours, elle encadre un pan entier de la communauté arménienne du Liban à la manière d’un parti tribunitien, comme ce fut le cas du Parti communiste français des années 1950. Comme le souligne le chercheur et journaliste français Gaïdz Minassian, auteur d’une thèse controversée sur ce parti, «nombreuses sont les familles arméniennes de Bourj Hammoud et ailleurs où l’on naît Tachnag, on se marie Tachnag… et l’on meurt Tachnag».

Opérant depuis l’Arménie, le Tachnag est un parti international, politiquement orienté et impliqué dans les pays où la diaspora arménienne est présente depuis le génocide de 1915. Isolé des autres partis arméniens, le Tachnag fait cavalier seul dans son combat contre le régime soviétique qui gouvernait l’Arménie. Les communistes arméniens et les militants du parti concurrent Hentchak, à l’époque influents, le taxaient volontiers de parti chauvin et «nationaliste petit bourgeois».

Le duel Tachnag/Hentchak connut son paroxysme en 1958, lorsque le Liban s’entre-déchirait dans un arrière-fond de guerre froide. Dans ce contexte, c’est tout naturellement qu’une alliance se forgea entre le Tachnag et les Kataëb de Pierre Gemayel dans les années 1960.

Mais lorsque la poudrière libanaise s’enflamma, en 1975, le Tachnag s’engagea dans la neutralité dite «positive», refusant de se battre aux côtés des Forces libanaises. Les militants Tachnag voyaient d’un mauvais œil le projet d’unification des rangs chrétiens sous le drapeau maronite.
En 1978, des heurts violents eurent lieu à plusieurs reprises entre les Kataëb et les Tachnag à Nabaa. L’année suivante, le mémorial des martyrs arméniens à Bickfaya fut dynamité.

A la fin de la guerre, les dirigeants Tachnag ne souhaitèrent pas entretenir les griefs du passé. Mais un sentiment indélébile de rancœur persiste, il peut être ranimé à n’importe quel moment, comme ce fut le cas lors de la partielle du Metn, en 2007.
Cette année-là, une organisation – sans idéologie particulière, si ce n’est son adhésion au 14 mars – fait son apparition dans la sphère politique locale: le mouvement des Arméno-Libanais libres. A l’origine, une poignée d’anciens Tachnag formèrent un courant politique dans la perspective de réunir le plus grand nombre de déçus du Tachnag… en vain. Malgré un soutien de l’entourage de la famille Hariri, ce mouvement groupusculaire ne put jamais se doter d’une ossature crédible.

En février 2009, dans le courant des législatives, un des cadres du mouvement est grièvement blessé au volant de sa voiture à Bourj Hammoud dans une mitraillade. La nouvelle fait le tour de la presse proche du 14 mars, elle suscite l’indignation dans les rangs des partis arméniens liés au Courant du futur, tandis que le QG Tachnag gardait le silence radio. Depuis lors, on n’entendit plus parler des Arméno-Libanais libres, dont le poids politique insignifiant les empêcha de participer aux scrutins électoraux ultérieurs.

La violence révolutionnaire

La FRA, qui franchit la décennie des années 1970, apparaît comme une institution alourdie par le poids de ses structures vieillissantes. Son idéologie – jadis révolutionnaire – se retrouve ébranlée lorsqu’en 1975, émerge l’Asala (Armée secrète arménienne pour la libération de l’Arménie), une organisation clandestine basée à Beyrouth-Ouest, parrainée par le FPLP de Georges Habach et de Wadih Haddad. Pour la première fois dans son histoire, la légitimité de la FRA est remise en question à un moment où les actions violentes de groupuscules révolutionnaires font la Une des journaux.

Empêtré dans ses difficultés internes, le Tachnag se ressaisit pourtant. Entre 1976 et 1986, des mouvements armés, se revendiquant d’une sensibilité proche de la FRA, émergent: ce sont les Commandos des justiciers du génocide arménien (CJGA), rebaptisés, au début des années 80, Armée révolutionnaire arménienne. Basés au Liban, la plupart des commandos perpètrent des attentats suicide et des assassinats contre des diplomates turcs. Le plus célèbre fut celui du 27 juillet 1983 lors de la prise d’assaut de l’ambassade turque à Lisbonne. Cette action provoqua une vague d’émoi sans précédent au sein de la diaspora arménienne. Originaires de Beyrouth, les corps des membres du commando furent rapatriés en grande pompe au Liban. Aujourd’hui encore, leur sacrifice est commémoré chaque année. Signe fort, c’est après les attentats de Lisbonne que la FRA obtint l’autorisation secrète des haut gradés soviétiques de prendre part au conflit du Haut-Karabagh.
Parallèlement, dès 1985, la FRA noua officiellement des relations étroites avec la guérilla kurde du PKK, qui avait lancé la lutte armée un an plus tôt. Objectif: établir une stratégie commune contre l’Etat turc. Les Arméniens mirent à la disposition des Kurdes des instructeurs experts en explosifs. Des proches de la FRA auraient également organisé un attentat contre le général Safonov et A. Polianitchko, qui avaient mené de 1988 à 1991 la répression azérie dans la région du Haut-Karabagh.

Acteur des relations internationales?

«Il faut comprendre que si nous entretenons de bonnes relations avec l’Iran, c’est en raison des liens historiques qui nous lient à ce pays. La présence arménienne y remonte au Moyen Age, et l’Iran est le seul voisin avec qui l’Arménie entretient des relations économiques étroites», martèle Shahan Kahandarian, ancien membre du comité central du Tachnag libanais et rédacteur en chef du quotidien du Tachnag d’expression arménienne, Aztag.

Si on prétend que le Tachnag est un indéfectible soutien de l’Iran, c’est qu’il s’inscrit dans un contexte régional particulier. Respectée, la communauté arménienne en Iran y est implantée depuis le XVIe siècle, elle compte aujourd’hui deux représentants Tachnag siégeant au Conseil consultatif (Parlement). Comme son prédécesseur, Hrant Markarian, l’actuel secrétaire général du parti, est un Arménien originaire d’Iran. D’autre part, les relations qui unissent Erevan et Téhéran sont d’un intérêt stratégique vital pour l’Arménie, car l’Iran (unique allié de l’Arménie dans son voisinage direct) lui livre du gaz et partage une neutralité bienveillante vis-à-vis du conflit du Haut-Karabagh, qui oppose Arméniens et Azéris.

Proche de l’Iran, il n’empêche que la FRA est tolérée aux Etats-Unis. Le Tachnag a tissé des liens très étroits avec les responsables américains, notamment à travers le travail opéré en sous-main par son puissant lobby présent aux Etats-Unis (l’Anca Armenian National Commitee of America, qui occupe la troisième place au top ten des lobbys américains). Les Tachnag américains disposent en ce moment de soutiens importants dans les rangs de l’establishment, citons l’actuelle présidente du Congrès Nancy Pelosy et le vice-président Joe Biden. Toutefois, l’Anca n’a pu jusqu’à ce jour obtenir du président des Etats-Unis la reconnaissance de la réalité du génocide arménien, et cela en raison d’intérêts supérieurs qui lient Washington à Ankara.

Dans le reste de la diaspora, les agendas de la FRA se coordonnent en fonction des contextes politiques locaux. Par exemple, la branche Tachnag en Argentine a collaboré avec le régime militaire pendant la dictature, alors qu’en France, la FRA (membre de l’internationale socialiste) s’est tout naturellement rangée derrière le PS. Quoi qu’il en soit, dans la plupart des pays d’accueil, la stratégie empruntée par la FRA répond surtout à un souci de défendre les intérêts de la communauté arménienne implantée, évitant ainsi tout aventurisme politique.

Tachnag-Hezbollah: alliés communs

A l’aune du solide partenariat commercial et stratégique scellé entre l’Arménie et son voisin iranien, on peut comprendre l’alliance qui lie le Tachnag libanais et la coalition du 8 mars. Scénario imaginable mais peu probable, il se pourrait que les Iraniens et les Syriens, qui disposent chacun d’une communauté arménienne significative, puissent avoir recours aux Arméno-Libanais pour préserver leurs acquis dans le pays du Cèdre. Il n’en demeure pas moins que la branche libanaise du Tachnag agit de façon autonome par rapport à la base arménienne.

En avril 2009, lors de la campagne pour les législatives, le candidat Hagop Pakradounian affirmait au micro de la BBC: «Nous, Arméniens, sommes opposés à l’oppression et à l’occupation israélienne au Sud. (…) Le Hezbollah combat une occupation, nous sommes bien placés pour savoir ce que signifie voir ses terres sous occupation».
Serait-ce un calcul politique calqué sur les positions du général Aoun qui motive les orientations du Tachnag? Les Arméniens font-ils preuve de réalisme en se rangeant sous l’aile protectrice de la première force politique et militaire du pays du Cèdre? Autant de questions qui demeurent en suspens. Incontournable au Liban, la présence Tachnag sur le sol turc demeure interdite, du moins tant que la propagande étatique continuera à le diaboliser.

De l’autre côté de la frontière (fermée), le Tachnag d’Arménie constitue une force d’opposition non négligeable qui s’est retirée de la coalition gouvernementale en signe de protestation contre le processus de rapprochement arméno-turc récemment gelé. La diaspora poursuit tant bien que mal sa fonction fédératrice, s’inscrivant dans une dynamique transnationale dont les buts affichés sont la reconnaissance internationale du génocide arménien, la défense des droits de la minorité arménienne de Géorgie ainsi que la sécurité de l’Arménie et du Haut-Karabagh.

Autre volet, le maintien de l’identité arménienne de la diaspora qui demeure une question lancinante. A cet effet, les structures actuelles de la FRA (écoles, journaux, associations culturelles, sportives, etc.) devraient faire l’objet d’une nécessaire cure de rajeunissement, si elles ne souhaitent pas suivre le destin malheureux des autres partis politiques arméniens de la diaspora.
C’est dans un contexte politique mouvant que navigue le vieux paquebot Tachnag: tantôt dans les eaux troubles libanaises, dans les montagnes du Karabagh ou encore dans les salons feutrés du Congrès américain.

Pour sa part, le Tachnag libanais a su s’adapter à son temps et à son environnement. A l’heure de la mondialisation, le parti se cherche une identité à travers ces femmes et ces hommes intégrés dans les structures de leurs pays respectifs. Sans tomber dans le dilemme d’une allégeance multiple, ils œuvrent à construire des ponts entre le monde complexe arménien et leurs patries d’accueil. Le Tachnag libanais n’échappe pas à la règle, partisan de l’unité et de la consolidation de l’Etat.
Ancré dans le pays du Cèdre depuis l’époque du mandat français, le drapeau de ce parti centenaire, à la couleur rouge écarlate des révolutionnaires d’antan, ne s’est pas décidé à battre en retraite.

Les structures et le financement du Tachnag

Réparties dans les quatre coins de la diaspora arménienne, les structures affiliées à la FRA encadrent la vie culturelle, économique et sociale de la plupart des communautés arméniennes de la diaspora mais aussi de celles des familles Tachnag d’Arménie.

Qui finance le parti?

Mises à part les cotisations relativement modestes des membres de la FRA, le Tachnagtsoutioun dispose de réseaux de financement parallèles provenant de ses «partenaires commerciaux», principalement établis en Arménie, en Iran et au Liban.

L’Armenian Relief Society

Fondée en 1910 et basée aux Etats-Unis, cette ONG arménienne de bienfaisance dispose d’un réseau de branches à travers 26 pays dont l’Arménie. Elle est essentiellement composée de femmes bénévoles et engagées dans l’action sociale. Au Liban, on la connaît sous le nom d’Association d’entraide arménienne du Liban.

Homenetmen

Fondée en 1918 à Istanbul, ses initiales signifient Union générale athlétique arménienne. Il s’agit d’organisation panarménienne dévouée au sport et au scoutisme. Elle se donne pour objectif la transmission aux jeunes générations des valeurs éthiques et patriotiques nationales, dans une démarche militante, au service de la cause arménienne. Ses équipes de football et de Basket ont connu leur heure de gloire au Liban au cours des années 60-70.

Hamazkayin

Association panarménienne fondée au Caire en 1928 par un groupe d’intellectuels arméniens soucieux de promouvoir et de diffuser la culture et l’éducation arménienne au cœur de la diaspora. Très active au Liban, c’est dans ses locaux, à Bourj Hammoud, que se trouvent ses structures: l’imprimerie Vahé Sétian, la galerie d’art et la revue littéraire Pakin.
Hamazkayin dispose également du prestigieux lycée Djémaran (anciennement basé à Beyrouth-Ouest, déplacé pendant la guerre à Antélias), de troupes de danse, de chant et de théâtre. Son comité exécutif mondial est majoritairement composé d’Arméniens citoyens libanais.

Médias Tachnag

Il n’est pas une branche de la FRA qui ne soit en possession d’un organe de presse. En Arménie comme en diaspora sont publiés des journaux Tachnag d’expression arménienne ainsi que dans les langues des pays d’accueil. C’est notamment le cas des titres de presse Yerguir (pays) qui sort à Erevan, Aztag (messager) à Beyrouth (fondé en 1927), Horizon à Montréal, Hayrénik (patrie) à Boston, etc.
De son côté, la presse audiovisuelle Tachnag dispose des Radio AYP FM (Paris), Voice of Van (fondée en 1986, elle émet depuis Beyrouth), Radio Gomidas (Montevideo) d’une chaîne de télévision en Arménie (Yerguir Media) et aux Etats-Unis (Horizon). Dans la plupart des cas, les fonds sont directement puisés dans les caisses du parti, ainsi qu’à travers les diverses collectes auprès des particuliers.

Comités de défense de la cause arménienne (CDCA)

Dans les principaux pôles politiques, les militants Tachnag ont mis en place des structures de lobbying, qui œuvrent à la sensibilisation à la cause arménienne (reconnaissance du génocide de 1915 et négationnisme turc, question du Haut-Karabagh, de la minorité arménienne de Géorgie…) auprès des cercles de décision politiques. Leur financement est essentiellement lié aux fonds dont dispose le comité central du Tachnag, ainsi qu’aux donations de privés. Parmi les principaux lobbys de sensibilité Tachnag citons à Bruxelles (Fédération euro-arménienne pour la Justice et la démocratie), à Beyrouth (Bureau de la cause arménienne pour le Moyen-Orient) ainsi que l’Armenian National Comitee of America à Washington.

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