L’idéologie du défaitisme
Posted by jeunempl sur juin 9, 2010
L’Hebdo Magazine – Paul Khalifeh
De toutes les analyses avancées pour comprendre les circonstances et les retombées du crime perpétré par Israël contre la Flottille de la Liberté, la plus bizarre est celle qui estime que la «Turquie est plus embarrassée que jamais, car elle est tombée dans un piège sournoisement tendu par l’Etat hébreu». Ce type d’analyses, que l’on a pu lire dans certains journaux locaux et arabes, a un objectif bien précis: battre en brèche le crédit que s’est constitué Ankara, en l’espace de quelques années seulement, en adoptant des positions sur le conflit israéloarabe bien plus avancées que celles des Arabes. Comme ces derniers n’ont pas le courage de se mettre au diapason de la Turquie, ils tentent de tirer celle-ci vers le bas.
Ceux qui véhiculent ce genre d’analyses sont conditionnés par le mythe de l’invincibilité et de la supériorité d’Israël, à un point tel que leur grille de lecture ne comprend pas le cas de figure que l’Etat hébreu puisse commettre une erreur ou une faute ou, encore, puisse essuyer un échec ou un revers. C’est du défaitisme érigé en idéologie d’Etat, défendue par une cohorte d’intellectuels qui prétendent, par exemple, que le retrait israélien du Liban-Sud, en 2000, a été arrangé en accord avec la Syrie et le Hezbollah, et qu’en 2006, l’Etat hébreu aurait gagné la guerre s’il l’avait vraiment voulu.
Que la Turquie soit tombée dans un piège n’est certes pas impossible, mais hautement improbable. L’incident de la Flottille de la Liberté n’est que le dernier épisode d’un processus enclenché, il y a trois ans, par Ankara qui a décidé de se repositionner sur l’échiquier régional et international. Et ce n’est pas l’idéologie qui a dicté cette décision mais une prise de conscience de la part de la Turquie que ses intérêts économiques –l’AKP est aussi soutenu, il ne faut pas l’oublier, par les hommes d’affaires et le grand capital turc–, géopolitiques et géostratégiques passent par une plus grande ouverture sur son environnement naturel, surtout qu’elle a bien compris que les portes de l’Union européenne lui resteront fermées, peut-être à jamais.
Pourquoi ne pas imaginer, pour une fois, que c’est Israël qui est tombé dans un piège et que l’Administration Obama n’est pas très fâchée de voir son plus proche allié empêtré dans une situation difficile? Les indices visibles et invisibles, montrant l’existence de sérieuses divergences entre la Maison-Blanche et le gouvernement israélien actuel, se multiplient. Nous en citerons quatre: Pour la première fois, des voix s’élèvent au sein de l’armée américaine pour souligner le danger que représente, pour les intérêts stratégiques américains, la poursuite du conflit israélo-palestinien. Le général David Petraeus, chef du CentCom, a déclaré devant le Congrès que «ce qui se passe dans les rues de Jérusalem affecte la sécurité des GI’s». Pour la première fois dans l’histoire des deux pays, un Premier ministre israélien arrive à Washington en visite officielle sans que le rendez-vous avec le président n’ait été fixé au préalable. Benyamin Netanyahu a attendu 45 minutes avant d’être reçu par Barack Obama qui était occupé à… dîner avec son épouse. Pas de communiqué conjoint après les entretiens. Le nouveau lobby juif américain J Street, très critique à l’égard de l’AIPAC et du Likoud, est appuyé par les plus proches collaborateurs de Barack Obama, David Axelrod et Rahm Emmanuel. L’humiliation dont a été victime Joe Biden en Israël a été très mal perçue par Obama, qui a personnellement dicté à son vice-président la teneur du communiqué. Barack Obama est déterminé à faire avancer le processus de paix. Cependant, il n’est pas disposé à avoir un choc frontal avec le lobby pro-israélien de crainte d’en subir les conséquences lors des élections du mi-mandat, en novembre. Aussi, a-t-il opté pour une toute autre approche: il a fixé à Israël des lignes rouges –pas d’attaque unilatérale contre l’Iran, le Liban ou la Syrie– et laisse l’Etat hébreu s’enfoncer, lentement, dans ses contradictions internes et ses problèmes externes, en attendant que la situation soit mûre pour le lancement d’une initiative de paix, qui devrait voir le jour en septembre ou octobre. D’ici là, Benyamin Netanyahu aura été tellement affaibli que sa marge de manœuvre sera sérieusement réduite et il sera enclin à une plus grande coopération avec l’Administration Obama… A moins qu’il ne choisisse la fuite en avant.
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