Quel avenir pour la loi électorale libanaise : les inconvénients de la loi 1960
Posted by jeunempl sur avril 27, 2010
Dory Moutran – MPLBelgique.org
Les inconvénients de la loi 1960
Le scrutin majoritaire plurinominal ou le vote en bloc
Le système électoral libanais est basé sur le système majoritaire, mais il ne peut cependant être comparé aux systèmes majoritaires utilisés dans les démocraties occidentales, ceux-ci étant basés sur la circonscription uninominale, soit un siège par circonscription – les Etats-Unis ou le Royaume-Uni à un tour, la France à deux tours. Les circonscriptions libanaises étant de taille moyenne, c’est-à-dire comportant plusieurs sièges chacune – allant de 2 à Becharré et à Saïda, jusqu’à 10 à Baalbeck-Hermel et à la 3e circonscription de Beyrouth – la répartition se fait donc conformément au concept du ‘winner-takes-all’.
Le gagnant peut donc se contenter de 51% des voix pour remporter la totalité des sièges de la circonscription – ou simplement recevoir le plus grand nombre de voix, fut-ce inférieur à 50 pour cent, s’il y aurait plus de 2 listes dominantes. Ce fut le cas à Achrafieh ou à Zahlé, où la majorité, ayant reçu respectivement 52 et 53 pour cent des voix, a remporté 100 pourcent des sièges qui y sont issues. Cela fonctionne également dans l’autre sens : l’opposition réalise un carton plein au Kesrouan et à Baabda, alors que celle-ci y a respectivement reçu 52 et 53 pour cent des voix également.
Un modèle dépassé
A l’origine, le scrutin majoritaire plurinominal avait une raison typiquement libanaise d’exister. Il permettait aux électeurs de voter pour des candidats individuels et/ou indépendants. En effet, de nombreux électeurs ont du mal à faire le choix entre deux partis, mais préfèrent « sélectionner » leurs candidats préférés sur des listes différentes. Le concept du toshtib permet aux électeurs « traditionnels » de ne pas avoir à faire un choix exclusif. Ils peuvent ainsi choisir de remplacer un ou plusieurs noms d’une liste particulière, par des personnalités qu’ils apprécient, que ce soit pour leur charisme, leur programme politique, pour les services – khadameet – qu’ils offrent, ou simplement par tradition – l’allégeance aux « grandes » familles.
Non-conforme avec les systèmes politiques modernes, le « vote en bloc » est le plus souvent utilisé dans les pays où les partis politiques sont soit faibles, soit non-existants. Ce système n’est d’ailleurs utilisé que dans une douzaine de pays dans le monde (15 au plus, certains utilisant des systèmes mixtes), aucun d’entre eux n’étant considéré comme une « démocratie stable et moderne ». Et la tendance est à la baisse. En Europe, seules quelques îles anglo-normandes, jouissant d’une autonomie quasi-totale, utilisent encore ce système. Nous sommes donc sur le même banc que le Koweït, les Maldives, le Laos, l’Autorité Palestinienne et… la Syrie. La Jordanie, la Mongolie, les Philippines et la Thaïlande ont remplacé ce système il y a bien longtemps, à cause de ses effets négatifs.
Ce système n’a pourtant plus sa place au Liban, car les raisons de son application ont désormais disparu. De nombreuses « prévisions » électorales pour les législatives de 2009 nous préparaient à un scénario où les sièges de certaines régions – notamment Koura, Batroun, Metn, Beyrouth I, mais également Saïda, Tripoli, Zahlé et la Bekaa de l’Ouest – soient répartis entre les 2 listes dominantes. Cela n’a eu lieu qu’au Metn, où Sami Gemayel et Michel Murr ont réussi à « percer » la liste du Changement et de la Réforme. Ailleurs, il aura fallu la bonne volonté de Walid Joumblat, afin que son rival Talal Arslan occupe une place au parlement, et un accord à la 2e circonscription de Beyrouth, pour que différentes parties soient représentées dans un même district.
De plus, sur chaque liste, l’écart entre le premier et le dernier n’était jamais très grand. En effet, les libanais, dans leur ensemble, ont voté pour des listes complètes, se conformant donc au système de partis, abandonnant plus ou moins le vote traditionnel pour les leaders locaux.
Vers un système de partis au Liban
Le coefficient de variation calcule la dispersion des nombres de voix obtenus par chaque candidat sur une liste, par rapport à la moyenne obtenue par celle-ci. En somme, il nous permet de mesurer la tendance des électeurs à offrir leurs voix à une liste unique, ou à les répartir entre des candidats de listes adverses. Le tableau ci-dessous nous offre les moyennes des coefficients de variation dans les différents districts électoraux, ainsi que les moyennes aux niveaux des Mohafazats et la moyenne nationale.
Moyennant un coefficient de variation de 5,79% pour la majorité et de 5,54% pour l’opposition sur l’ensemble du territoire, il est extrêmement bas dans les circonscriptions où la compétition est rude. Il varie dans les autres circonscriptions. Les seules exceptions concernent notamment les districts dans lesquels une coalition n’avait aucune chance de « percer » la liste adverse (ex. Tripoli), ou les districts où plus de deux listes se sont présentées, comme ce fut le cas à Jezzine.
Cela étant dit, les électeurs ont donc bien respecté les listes proposées par leurs partis favoris. La discipline de parti l’a donc emporté sur la tradition, rendant le système majoritaire plurinominal désormais inutile, voir contreproductif !
Disproportion dans les résultats finaux
En considérant les résultats finaux, nous avons un décalage radical entre le nombre de voix total obtenu par chacun des deux camps, et la part qu’ils ont reçue au sein du parlement : avec environ 707.000 voix (43%), la majorité remporta 71 sièges, alors que l’opposition, avec environ 852.000 voix (52%), n’obtint que 57 sièges.
Notons que les victoires de l’opposition à Zghorta, Kesrouan et Metn a été courte. Si le mouvement du 14 mars y avait remporté une victoire toute aussi courte, elle aurait pu jouir d’une majorité de plus des 2 tiers du Parlement – 85 sièges – avec un nombre inférieur de voix à celui de l’opposition.
Une deuxième conséquence est la mal-représentation des minorités, qu’elles soient politiques, religieuses ou locales. Rien ne justifie que les partisans du 14 mars issus du Kesrouan, ayant contribué à 45 pour cent des voix, se contentent de se sentir représentés par les députés du bloc du Changement et de la Réforme du Kesrouan, ou alors par les députés du 14 mars d’une région tierce. Similairement, il n’est pas acceptable qu’un partisan du Courant Patriotique Libre de Achrafieh doive avoir recours à l’un des cinq députés de sa région pour lesquels il n’a pas voté, afin de présenter ses doléances concernant des affaires locales.
Cela est encore plus grave dans des régions où les minorités religieuses ont peu ou aucun mot à dire quant aux résultats des élections : à Baalbeck, le poids des voix chiites éclipse celui des autres communautés, qu’elles soient chrétiennes ou sunnites. Il y a pourtant deux députés représentant chacune de ces communautés dans cette région. Pareil à Akkar, Tripoli, Jbeil, la 3e circonscription de Beyrouth, la Bekaa de l’Ouest, ainsi que de nombreuses circonscriptions du sud. Le système confessionnel – tant qu’il est de vigueur – est tel que les électeurs de chaque région doivent se sentir représentés de deux manières : politiquement et religieusement. Le système majoritaire plurinominal, dans sa forme employée au Liban, porte atteinte à la représentation des minorités locales…
Cela mène également à des confrontations électorales basées sur des coalitions confessionnelles dans certaines régions : au Chouf, à Aley, à Beyrouth II, au Metn, et à Zahlé notamment, où aucune communauté n’est majoritaire, nous faisons face à des coalitions plutôt confessionnelles que politique : druzes alliés aux sunnites ; sunnites, chiites ou arméniens faisant pencher la balance dans l’une et l’autre circonscription « chrétienne ». Cela mène également les leaders politiques à utiliser des arguments confessionnels, et certaines fois des propos injurieux vis-à-vis de toute une communauté.
Gerrymandering
Une coalition peut remporter plusieurs courtes victoires dans certaines circonscriptions, mais perdre avec un grand écart dans d’autres circonscriptions, et être déclarée vainqueur au total, alors qu’elle a reçu un nombre bien inférieur de voix. C’est ce qu’on appelle le Gerrymandering, une technique qui consiste à réorganiser les districts électoraux en faveur d’un groupe politique, ethnique ou religieux, et transformer une défaite électorale en une victoire.
Le tableau ci-dessous permet de mieux comprendre le fonctionnement du Gerrymandering :
Considérons « A » et « B », deux partis en compétition, et les circonscriptions proposées pouvant être soit les colonnes, soit les rangées. En découpant les circonscriptions en rangées, « A » remporte les élections avec 4 sièges contre 1 pour « B », alors qu’en découpant les circonscriptions en colonnes, « B » remporte les élections avec 3 sièges contre 2. On peut noter cependant qu’au total, « A » reçoit 14 voix contre 11 pour « B », mais cela ne change pas le fait que « B » pourrait remporter les élections, s’il réussit à imposer, d’une manière ou une autre, un découpage électorale lui offrant un avantage.
En terminer avec le système majoritaire
En terminer avec le système majoritaire, c’est en terminer avec le rejet de l’autre. La tradition politique au Liban veut que le parti gagnant se considère « l’unique » sur le terrain, même lorsque la marge de sa victoire ne fut que de quelques milliers de voix. D’ailleurs, peut-on dire que Omar Karame ne représente rien à Tripoli, bien qu’il ait amassé plus de 30.000 voix ? Peut-on également dire que l’opposition ne représente rien à Koura, au Batroun, à Aley, malgré qu’elle y ait eu entre 37 et 44 pour cent des voix ? Il en va de même pour le 14 mars, qui, dans de nombreuses régions chrétiennes – Zghorta, Jbeil, Kesrouan, Baabda entre autre – est présenté comme perdant, alors qu’il représente plus de 40 pour cent des électeurs.
Mais cela ne se limite pas aux régions où l’écart était réduit. Dans les régions où la bataille n’eut pas lieu, les minorités politiques, bien que considérées comme inexistantes, devraient avoir droit non seulement à une représentation, mais également à une reconnaissance. Si la représentation proportionnelle avait été appliquée à Baalbeck et dans la 3e circonscription de Beyrouth, les perdants auraient eu droit à respectivement 1 et 2 des 10 sièges disponibles, une maigre récompense ne remettant pas en doute la domination des listes victorieuses.
Sommaire
Introduction
Les inconvénients de la loi 1960
Quelle alternative ?
La représentation proportionnelle
La politisation des débats autour de la loi municipale
Conclusion
Votre commentaire