Yousra, réfugiée irakienne au Liban, un cas parmi 48 000 autres
Posted by dodzi sur janvier 21, 2010
Par Nada Akl
Yousra El-Amiri, une réfugiée irakienne entrée illégalement au Liban il y a quelques mois, a ces derniers jours monopolisé l’attention de différentes ONG: elles accusent entre autre la Sûreté Générale d’avoir arbitrairement détenu cette femme alors même qu’un juge avait ordonné sa libération. Une controverse qui remet en lumière l’absence de politique concernant la situation des 48 000 réfugiés irakiens au Liban.
L’aventure de Yousra El-Amiri, 37 ans, commence en Irak, son pays, où des milices armées tuent son père et la menacent. En mai 2009, elle quitte le pays avec son frère et entre clandestinement au Liban via la Syrie. Quand les autorités libanaises les arrêtent tous deux, elle est condamnée à un mois de prison. La peine prend fin le 21 Juin mais le 11 Décembre 2009, El-Amri est toujours détenue, malgré l’ordre de libération immédiate prononcée par le juge Cynthia Kasarji (une décision du tribunal confirmée par le ministère de l’Intérieur). « En septembre 2009, Yousra El-Amiri a été reconnue comme réfugiée par le Haut commissariat des Nations Unies aux réfugiés(HCR) », explique Nizar Saghieh, son avocat. Le Liban a signé et ratifié la Convention des Nations Unies contre la torture qui interdit le rapatriement des personnes qui risquent la torture dans leur pays. Saghieh demande des comptes au ministère de l’Intérieur: « Yousra El-Amri a été détenue arbitrairement pendant 7 mois sans aucune justification juridique ».
Comme Yousra, les Irakiens qui ont fuit leur pays pour trouver refuge au Liban sont généralement identifiés comme réfugiés par le HCR. Mais le Liban n’a pas signé la Convention sur les réfugiés de 1951 et ne donne pas d’effet juridique à la reconnaissance de ce statut par le HCR. Ceux qui qui entrent clandestinement au Liban en quête d’un refuge contre la persécution, ou alors qui y entrent légalement mais qui, pour les mêmes raisons, après l’expiration de leurs visa, sont donc traités comme des immigrants illégaux et sont arrêtés ; ils risquent la prison et le rapatriement. Cependant, selon un accord passé entre le HCR et le gouvernement libanais, les réfugiés et les demandeurs d’asile sont tolérés pour une période limitée en attentant l’orientation vers un autre pays ou le rapatriement volontaire.
Des mains de la Sûreté aux bras des ONG
L’histoire de Yousra soulève un autre problème. Lundi 18 janvier, via une campagne menée sur Facebook et par SMS, un groupe de militants (dont certains membres de l’association Frontiers Ruwad) a affirmé que la Sûreté générale avait envoyé Yousra, à sa sortie de prison, dans un centre d’hébergement de Caritas (Safe house) dédié aux victimes de trafic de personnes. Les militants prétendaient qu’elle y était détenue et réclamaient la « libération de Yousra ». Nizar Saghieh, pour sa part, évoque un accord entre Caritas et la SG pour que Yousra soit placée sous le contrôle de Caritas : « en pratique, ils la tiennent prisonnière même si la cour a ordonné sa libération ». La directrice du Centre Caritas pour les migrants Najla Chahda nie en bloc ces accusations. Elle explique que Caritas dirige plusieurs centre d’accueil à vocations différentes et que Yousra était libre de ses mouvements. « Yousra a été libérée samedi soir, et la SG nous a dit qu’elle n’avait nulle part où aller. C’est un centre d’hébergement pour les personnes qui ont besoin d’un endroit où se loger le temps de régulariser leur situation. Ce n’est pas une prison, Yousra s’y est rendue de son propre gré. Notre seul rôle a été de l’héberger ». Selon Chahda, la femme de 37 ans refuse de quitter le Liban sans son frère qui se trouve toujours derrière les barreaux. Caritas dénonce une campagne diffamatoire. Durant une conférence de presse mardi, des représentant de l’organisation ont également révélé que le jour où ils ont recueilli Yousra, ils ont immédiatement contacté le HCR qui a dit ne pas pouvoir agir sur le moment car ce transfert se passait pendant un week end. Le HCR a refusé de commenter. Lundi 18 janvier, Yousra s’est présentée en personne au HCR. Dans l’après-midi, les militants ont manifesté devant les bureaux du HCR à Jnah pour demander la « libération de Yousra ». Selon les manifestants, Yousra el-Amiri ne voulait pas quitter les locaux car elle craignait « d’être ramenée de force à Caritas ». A la fin de la journée, les manifestants célébraient leur victoire en clamant que « Yousra avait été libérée ». Elle est cependant toujours avec le HCR au Liban. Selon Caritas, elle sera probablement renvoyée vers un autre pays.
Nizar Saghieh estime qu’il y a « entre 50 et 100 Irakiens dans une situation similaire de détention arbitraire au Liban », sur un nombre total de réfugiés irakiens de 48 000 au pays du Cèdre selon le HCR. Un rapport de 2007 publié par Human Rights Watch intitulé Rot Here or Die There (« Pourrir ici ou bien mourir là-bas ») décrit la situation des réfugiés comme déplorable. Toutefois, le rapport indique également que «les autorités libanaises ont fait preuve d’une tolérance notoire envers la présence iraquienne au Liban. La police et les forces de sécurité intérieure (FSI) n’ont pas systématiquement arrêté les réfugiés iraquiens qui n’ont pas de visa valable ou un permis de séjour, mais un nombre suffisant d’Irakiens sont arrêtés et détenus pour garder dans les esprits la possibilité d’arrestation ».
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