L’Unesco parie sur Beyrouth, capitale mondiale du livre 2009
Posted by jeunempl sur mai 14, 2009
Comment Beyrouth, « courtisane, érudite, ou dévote », ainsi que la célébrait la poétesse libanaise Nadia Tuéni, va-t-elle rendre honneur à sa désignation, par l’Unesco, de capitale mondiale du livre 2009 ?
Contrastes et extrêmes s’affichent sur les promontoires. Au rayon sciences humaines du Virgin Megastore, en plein coeur de la ville, ont été exposés sans complexe et côte à côte Mein Kampf, d’Adolf Hitler, et The Secret Life of Syrian Lingerie (La Vie secrète de la lingerie syrienne). Au Moyen-Orient, le Liban est le pays arabe qui échappe le mieux à la censure. La Sûreté générale proscrit surtout les ouvrages critiquant la religion, souvent sur l’injonction d’associations représentant l’une ou l’autre des dix-sept communautés confessionnelles que compte ce pays.
« L’édition libanaise en langues française ou anglaise est plus engagée qu’en langue arabe, estime Hyam Yared, romancière et poétesse libanaise, auteur d’un premier roman, L’Armoire des ombres (Edit. Sabine Wespieser, 2006). La production en langue étrangère est moins exposée à la censure, car sa diffusion dans le monde arabe est restreinte et touche une élite plus ouverte. Ici, écrire en arabe de manière engagée, c’est prendre le risque de devoir partir. Ou pire. Prenez l’exemple de Samir Kassir (journaliste écrivain libanais assassiné à Beyrouth en juin 2005) : on meurt dans ce pays pour s’être exprimé librement… »
Même écho chez les libraires. « Très peu de livres sont traduits ou écrits en arabe en raison de la censure », confirme Souad Rahmeh, responsable pendant quarante-quatre ans de la célèbre Librairie Antoine du quartier Hamra, à Beyrouth-Ouest. Mais la situation, plus acceptable qu’ailleurs, peut se révéler profitable. « Les pays du Golfe ont peut-être du pétrole, mais pas beaucoup de livres !, assène Mme Rahmeh. Je vois venir au magasin des gens qui emportent des cartons de livres, qu’ils feront passer sous le manteau s’ils sont censurés chez eux. »
La maison d’édition libanaise Dâr al-Jadîd a permis aux lecteurs français de découvrir Racha Al-Ameer, dont le premier roman, Le Jour dernier, vient d’être traduit aux éditions Actes Sud. Fondateur de Dâr al-Jadîd, Lokman Slim porte pourtant un regard désabusé sur la situation : « Dans quelle mesure le folklore de « Beyrouth Capitale mondiale du livre » apportera-t-il quelque chose à l’édition arabe ?, s’interroge-t-il. Celle-ci prospère grâce à des livres islamiques, religieux, idéologiques qui nourrissent finalement les deux idéologies qui se télescopent actuellement dans la région, le sunnisme et le chiisme, et qui n’auront pas droit de cité dans cette manifestation. » Et d’ajouter : « Le monde de l’édition arabe est corrompu par l’argent des pays du Golfe, qui ne s’attachent guère à la qualité. »
LA GUERRE, SUJET INÉPUISABLE
Le contexte politique libanais permet d’expliquer une autre tendance relevée par les professionnels du livre. Moins d’un mois avant les élections législatives prévues le 7 juin, anciens ministres ou nouveaux candidats se sont mis à écrire mémoires et pamphlets, rencontrant un lectorat avide. Les livres traitant de partis politiques, notamment le Hezbollah, de religions (un récent ouvrage sur les druzes aurait fait un tabac dans le quartier chrétien d’Achrafieh), ou le vaste sujet de l’Amérique – « Bush, le fétiche des journaux, et ainsi de suite », selon Mme Rahmeh – s’arrachent, aux dépens de la littérature.
Enfin, les guerres du Liban restent un sujet inépuisable. « Nous vivons dans un pays à risques, dit la romancière Hyam Yared. Nous nous répétons que tout peut sauter le lendemain. Alors, forcément, nous avons un rapport à la guerre particulier, presque amoureux. Durant la paix, nous parlons de guerre, nous écrivons sur la guerre. La guerre au Liban est un peu devenue la vache à lait de nos auteurs. » Ce même état d’esprit est décrit par les lecteurs de magazines légers ou par ceux qui les défendent. « C’est un problème dû à l’instinct de vie. Un livre réclame de la réflexion, de la solitude, de la maturation. L’instabilité actuelle engendre une fébrilité incompatible avec la lecture. »
C’est sans doute l’extrême sociabilité des Libanais, leur instinct de vie, qui explique que, dans les cafés toujours pleins de la nouvelle capitale mondiale du livre, on fume, on boit, on discute avec passion, mais que, presque jamais, ne se trouve un client esseulé, le regard plongé dans un roman.
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