Amin Maalouf parie pour un monde moins suicidaire
Posted by dodzi sur avril 11, 2009
24heures
INTERVIEW | La société est déboussolée, mais le pire, annoncé, pourrait être salutaire.

Amin Maalouf: «Jamais le double langage de l’Occident n’a été aussi manifeste que durant l’ère Bush, et jamais le monde arabo-musulman n’a paru plus enfermé dans une impasse.»
Les plus cuisants échecs aboutissent parfois à de nouvelles avancées. C’est l’une des hypothèses du romancier Amin Maalouf (Goncourt 1993 pour Le rocher de Tanios ), auteur d’un essai percutant ( Les identités meurtrières ) qui a fait le tour du monde. Originaire du Liban, qu’il a quitté en 1976 pour s’établir en France, Maalouf incarne l’émigré-passeur entre cultures différentes. Or, l’Occident, constate-t-il, s’est aliéné une grande partie du monde en trahissant ses idéaux; et le monde arabe, humilié, se replie dans la déprime. Sur fond de crise majeure annoncée, Maalouf propose, avec Le dérèglement du monde , un bilan sévère de nos faillites matérielles et morales, dont il étudie les tenants avec beaucoup de nuances.
– Après deux guerres mondiales, la Shoah, le goulag et autres génocides, quel nouveau «dérèglement» pointez-vous?
– Les tragédies que vous citez font partie de l’Histoire de l’humanité, dont le dérèglement global que je décris risque de marquer le terme. Ce n’est pas du catastrophisme: voyez la crise financière et la crise climatique. Et le dérèglement est non seulement économique et géopolitique, mais aussi intellectuel et éthique. Tout le monde se sent d’ailleurs déboussolé. Jamais le double langage de l’Occident n’a été aussi manifeste que durant l’ère Bush, et jamais le monde arabo-musulman n’a paru plus enfermé dans une impasse.
– Quels signes l’ont annoncé?
– Au lendemain de la chute du mur de Berlin, en premier lieu, comme en 1945 avec le plan Marshall, les grandes nations occidentales auraient pu transformer la victoire de leur «modèle» en établissant un monde plus juste, alors qu’on a laissé se déchaîner une économie sauvage, au dam des populations «libérées». Si l’affrontement idéologique, qui nourrissait les débats, a disparu, c’est dans un combat identitaire qu’on a basculé, sur le quel toute discussion est plus malaisée. Autre observation, faite en 2000 lors du dénouement, en Floride, des élections américaines: j’ai pris conscience qu’une centaine de voix suffiraient à changer la face du monde. D’un processus démocratique allaient découler des événements mondiaux. Cela m’a paru mettre trop de poids sur un seul homme…
– L’élection d’Obama restaurera-t-elle une certaine légitimité de la prééminence américaine?
– Je l’espère évidemment, s’agissant d’un président métis, intelligent et cultivé, qui ne diabolise pas l’autre a priori. Il pourrait incarner lui-même une légitimité «patriotique», comme l’a incarnée en partie Nasser ou de Gaulle à la fin de la guerre. Mais ses tâches sont colossales, et les attentes immenses reposant sur lui vont de pair avec une énorme accumulation de méfiance.
– Et l’Europe?
– C’est un laboratoire prodigieux. J’ai été fasciné par tout le travail qu’elle a accompli depuis 1945, mais je regrette qu’elle n’ait pas su imposer un vrai contrepoids à l’Amérique de Bush. Elle n’a pas encore choisi ce qu’elle serait. Face au communisme, elle savait ce qu’elle ne voulait pas. Aujourd’hui, elle devrait être plus affirmative, dans une perspective universelle. Je rêve d’une formule fédérale qui s’ouvrirait beaucoup plus et ferait de nouveau figure de modèle. Cette aspiration, en outre, devrait monter de la base des citoyens.
– Quel espoir nourrissez-vous, malgré vos sombres constats?
– Je crois qu’un changement radical doit être opéré au vu d’enjeux planétaires. On a vu, avec la Chine et l’Inde, que le sous-développement n’était pas une fatalité. Mais cela engage de grandes responsabilités pour ces pays, notamment en ce qui concerne l’environnement. Il serait injuste de ne pas souhaiter le mieux-être de tous ceux qui en manquent, mais cela aussi va modifier les équilibres. Enfin, le plus important, de manière globale, est une affaire d’éducation, de culture qui ne soit pas qu’un objet de consommation mais un élément d’apprentissage et d’épanouissement. £
Jean-Louis Kuffer
Amin Maalouf. Le dérèglement du monde. Grasset, 313 p.
Grand débat 24 heures/Payot avec Amin Maalouf, le 4 mai au Théâtre de Vidy.
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