Le raconteur d’histoires: Entretien avec Wajdi Mouawad
Posted by jeunempl sur novembre 24, 2008
Après sa création à Chambéry et son passage par Avignon, Wajdi Mouawad, auteur-acteur-metteur en scène, reprend Seuls au Théâtre 71 de Malakoff. L’enfant du Liban, adopté par le Québec et chéri par la France, sera l’artiste associé du prochain festival d’Avignon. Rencontre avec un artiste pétri d’humanité profonde, dont la vie se confond avec l’acte de création, permanent, et qui n’aime rien tant que conter des histoires.
Il y a, à première vue, un contraste saisissant entre l’homme et l’œuvre. Une œuvre au long cours malgré son jeune âge (40 ans tout juste), une œuvre incandescente, qui dit la guerre, l’exil, la quête des origines dans un mouvement perpétuel. Une œuvre bouillonnante, tumultueuse, hantée. Wajdi Mouawad, lui, affiche une douceur rare. Dans une époque au rythme fou, lui semble prendre son temps. Le temps de réfléchir, de poser son esprit, de choisir le mot juste pour exprimer l’idée, de répondre le plus précisément possible aux questions qu’on lui pose, en plongeant ses yeux clairs dans les vôtres.
Fluctuat : Vous aimez dire que vos pièces sont des rencontres. Comment adviennent ces rencontres ?
Wajdi Mouawad : J’aime assez comparer l’acte de création au fonctionnement du scarabée. Il s’agit d’un insecte au système intestinal hyper sensible, qui se nourrit des défections des autres animaux. C’est ce qui lui donne cette couleur incroyable, ces tons rarissimes et si beaux parfois. Pour moi c’est pareil, j’ai une sensibilité très acérée, je suis extrêmement attentif aux couleurs, aux odeurs, aux impressions, aux histoires qu’on me raconte. Je développe une hyper sensibilité à tout ce qui m’entoure. Cela peut être la violence, la frustration, la peine, la difficulté, le chagrin, la douleur. Et les sensations accumulées font naître une autre histoire, de façon évidente. Dans mon esprit, se cristallisent le récit, l’image, le décor. J’attends ensuite d’être sûr que cette histoire est bien accrochée, un peu comme un bébé, avant d’annoncer la nouvelle de la naissance à venir. Ensuite, c’est moi qui raconte l’histoire.
Le livre Seuls retrace votre processus de création du spectacle, depuis la genèse jusqu’à la présentation au public. Vous y écrivez notamment : « Voici une série d’expressions qui me jettent dans une certaine honte : mon prochain spectacle, ma prochaine pièce, mon écriture, mon, ma, mes ». Pourquoi ?
L’idée de possessivité, de mise en avant de l’ego me dérange profondément. Je n’aime pas être le point d’attention, ce qui compte c’est l’objet sur lequel je travaille. Voilà une expression que je préfère : la pièce que j’écris, le spectacle sur lequel je travaille. En vérité, l’imagination, ce n’est pas inventer quelque chose qui n’existe pas, mais utiliser ce qu’on a sous la main. En tant qu’auteur, on n’est propriétaire de rien.
Vous êtes une sorte d’éponge…
Oui, je bois tout ce qui m’entoure, je suis en alerte permanente, et la création se confond avec la vie. Cela peut être assez épuisant, mais je ne sais pas faire autrement. Parfois, je me retrouve dans un bistrot, à discuter avec des amis de la pluie et du beau temps. Et je m’ennuie assez vite.
Vous comparez chacune de vos histoires à une personne.
Chaque histoire est une personne, a un visage. Dans mon esprit, Seuls est un garçon de 11 ans, Forêts une femme de 40 ans, Littoral un chien fou qui barbote dans l’eau. C’est un délire assez jubilatoire. Chaque personnage m’accompagne, je mène avec lui une vie de couple en quelque sorte.
Ce qui fait de vous un polygame…
Oui tout à fait, et j’aime bien ça. (Rires)
Le jeu, l’écriture, la mise en scène, trois activités souvent menées de front. Comment s’organise le montage des spectacles ?
Les acteurs n’arrivent jamais sur le plateau avec un texte clé en main. Mon écriture s’élabore souvent en cours de mise en scène, de façon très instinctive. Parfois, je boucle l’écriture des textes deux semaines seulement avant la première ! Ça demande un certain courage, une grande confiance de la part des acteurs. Et puis la mise en scène, c’est un combat contre mes propres pièces, qui me fait les réduire, souvent. Les fleuves jeunes ont tendance à zigzaguer, il faut les forcer à faire des tracés droits. Ça vient avec l’âge…
Depuis une dizaine d’années, vous présentez vos spectacles en France, de Chambéry à Malakoff. Après Frédéric Fisbach et Romeo Castellucci, vous êtes le prochain artiste associé du festival d’Avignon. Est-ce une charge écrasante ou une chance ?
J’ai eu avec Vincent Baudriller, (directeur du festival d’Avignon, ndlr) des discussions passionnantes sur la façon de raconter des histoires, le sens que cela avait. Mais quand il m’a appelé pour me proposer d’être artiste associé, je n’ai pas compris. J’ai dit pourquoi moi ? Pourquoi pas Warlikovski ?
Pourquoi Warlikovski ?
J’adore Warlikovski ! Et puis je le trouvais plus légitime à Avignon, avec qui il a construit une histoire dans la durée. Moi je n’ai présenté qu’un spectacle il y a dix ans, et puis plus rien.
Mais j’ai bien sûr été touché par cette proposition. Quand la nouvelle a été officialisée, se sont mêlés des sentiments de peur, de plaisir et de pression… Je le prends finalement comme une étape de plus dans mon travail. C’est là, entre autres, que je bouclerai ma série : après Littoral, Forêts, Incendies, j’y monterai Ciel. Avignon, c’est un cadeau, une surprise. J’aime beaucoup ça, les choses inattendues. Un peu comme les tiques, ces insectes qui peuvent rester en suspension sur une feuille pendant des semaines et puis qui, d’un coup, sans qu’on sache pourquoi, tombent et s’accrochent à un animal qui passe. Après le scarabée, je vous parlerai de la tique, la prochaine fois. (Sourires).
Propos recueillis par Nedjma Van Egmond
– Livre « Seuls, chemin, texte et peintures ». Editions Leméac/ Actes Sud. 25 euros. 185 pages.
– Spectacle « Seuls » au Théâtre 71 de Malakoff, jusqu’au 30 novembre, du 16 au 19 décembre au Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine, les 19 et 20 janvier 2009 au Théâtre Jean Lurçat scène nationale d’Aubusson.
– Spectacle « Littoral » les 24 et 25 mars 2009 à la Comédie de Valence, puis en tournée jusqu’en mai 2009.
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