Rétrospective : 1 an après la signature du document d’entente entre le CPL et le Hezbollah
Posted by jeunempl sur février 5, 2008
[A l’approche du second anniversaire de la signature du document d’entente, le MPL vous propose une rétrospective à travers d’anciens articles et interviews]
(L’Orient le Jour – Scarlett Haddad : 06 février 2007)
Plus qu’une énigme, le général Michel Aoun est un phénomène. En signant le document d’entente avec le Hezbollah le 6 février 2006, il a renversé l’équilibre des forces internes et bouleversé les équations préétablies. « Imprévisible et incontrôlable », disent les uns, « un homme libre et indépendant qui définit ses positions en fonction de sa vision de l’intérêt du pays », disent les autres. C’est en tout cas par choix personnel qu’il s’est rendu ce fameux lundi, au lendemain des actes de vandalisme à Achrafieh, à l’église Mar Mikhaël à Chiyah pour y rencontrer le secrétaire général du Hezbollah. Aussitôt attaqué par la majorité, le général Aoun a pris ses distances avec le 14 Mars, avant de devenir l’un des piliers de l’opposition, en dépit des critiques virulentes dont il est la cible à la fois de la part des forces internes et des diplomates occidentaux. En cette année riche en bouleversements et après la guerre de l’été, le général a-t-il regretté sa démarche en direction du Hezbollah ? Pense-t-il que cet accord lui a fait perdre sa popularité et l’a placé dans l’axe syro-iranien, comme le dit la majorité ? Il dresse pour « L’Orient-Le Jour » un bilan sans concession et explique que pour lui, cet accord est un projet de paix et un pari sur l’avenir du Liban.
Q : Comment est venue l’idée de cet accord et s’agissait-il d’une réaction à l’isolement qui vous a été imposé pendant les élections législatives de 2005 ?
R : L’idée est née dès mon retour au Liban et après les élections législatives et la formation du gouvernement. Je voulais essayer de trouver une solution aux armes du Hezbollah, pour aboutir à l’application de la résolution 1559, mais sans provoquer des secousses internes. J’étais convaincu qu’il fallait avant tout établir un lien de confiance avec le Hezbollah et le rassurer. Car on ne peut pas lui demander de déposer les armes qu’il utilise depuis 25 ans, sans la moindre contrepartie. Il me paraissait clair qu’il fallait travailler dans cette direction, sinon la 1559 allait provoquer un affrontement interne. J’avais d’ailleurs exprimé ces idées devant l’ambassadeur des États-Unis. Ma démarche n’était donc pas de conclure une alliance politique mais de trouver une solution qui évite de mettre en danger la stabilité du Liban. J’ai même exprimé ce point de vue devant Mme Condoleezza Rice.
Q : Pourquoi leur faisiez-vous part de vos idées ?
R : Ils me demandaient mon opinion sur la 1559 et j’exprimais mon point de vue. J’avais commencé à le faire aussi au Parlement, dans le cadre du discours que j’avais prononcé lors de la séance de vote de confiance, et mes propos avaient été accueillis par un tollé. Pour l’histoire, je dois dire que les députés de Joumblatt étaient les plus virulents contre moi et ceux du Hezbollah essayaient de les calmer. J’avais alors demandé que soit défini le territoire qu’il restait à libérer ainsi que le nombre des détenus libanais en Israël et j’avais évoqué le cas des Libanais réfugiés en Israël. Face à cette polémique, je me suis dit qu’il fallait établir des contacts bilatéraux et j’ai alors perçu que le Hezbollah voulait sérieusement entamer un dialogue sur ces questions litigieuses. Au fil des discussions, j’ai compris qu’il se sentait menacé par les Israéliens et la suite des événements a confirmé cette impression. Il me semblait clair que toute solution devait donc tenir compte de cette appréhension. J’ai compris aussi qu’il avait choisi de participer au gouvernement pour se donner une sorte de garantie sécuritaire, en plus des mesures de protection prises sur le terrain. Mais cette tentative n’a pas été couronnée de succès, car au sein du gouvernement, deux politiques étrangères parallèles se sont développées, la première menée par le ministre des AE et l’autre menée par le Premier ministre et d’autres.
Le gouvernement était donc en train de se fissurer. Pendant ce temps, notre relation avec le Hezbollah évoluait. Nous voulions essayer de trouver un moyen de vivre avec ce groupe dans les meilleures conditions. Il s’agissait d’une démarche pour l’avenir, basée pour nous sur la franchise, et nous voulions que le Hezbollah ne sente pas que nous pouvions conclure des accords contre lui. Bref, mon souci principal était d’éviter que la 1559 aboutisse à un affrontement interne, car je sentais qu’une certaine politique étrangère préparait une guerre au Liban. Le document signé avec le Hezbollah vise donc à déjouer les projets de guerre et son esprit consiste à favoriser une vie unie entre les Libanais, non une simple coexistence. Tous les ambassadeurs qui me rendaient visite avaient été informés de ce projet et pour eux, le paragraphe 10 du document qui aborde le cadre concret du problème avec le Hezbollah était bien entendu le plus intéressant. À cette époque, ils disaient que le Hezbollah ne signerait jamais un document d’entente abordant un tel problème. Ensuite, à mesure que le projet avançait, ils ont multiplié les pressions sur moi pour que je ne rencontre pas le secrétaire général du Hezbollah. J’ai alors compris que c’était le CPL qui était visé et qu’il fallait le briser.
Q : Comment cela ? Le Hezbollah n’était-il pas plutôt la cible ?
R : Si on revient en arrière, on se rappelle que lorsque le Courant du futur et le PSP ont conclu l’accord tripartite, nul n’a songé à protester contre la présence du Hezbollah au sein de cet accord. De même, nul ne s’est opposé à sa participation au gouvernement. Par contre, dès que j’ai parlé de rencontrer Nasrallah, il y a eu un tollé contre moi. J’ai alors fait le lien avec ce qui s’était passé avec moi avant ma venue au Liban pour tenter de retarder mon retour puis pendant les élections, et la conclusion s’est imposée à mon esprit.
Q : Le timing de la rencontre n’avait-il pas été choisi à cause des événements de la veille à Achrafieh, lorsque lors d’une manifestation, des églises avaient été attaquées ?
R : Non. La rencontre avait nécessité des préparatifs qui avaient besoin d’un délai de plus de 24 heures. Le rendez-vous avait été fixé à l’avance. Mais il y a eu comme une “coïncidence divine”. Vingt-quatre heures après les troubles et l’angoisse, un document de paix était offert aux Libanais avec des symboles forts : une rencontre dans une église qui avait été détruite pendant la guerre, dans une zone qui avait constitué une ligne de démarcation. Nous avons voulu ainsi briser les barrages moraux et montrer qu’il était possible de passer de l’état de non-belligérance à celui de paix. D’ailleurs, les gens nous ont devancé sur le terrain ce qui constitue la preuve que notre démarche correspondait à un besoin chez la population. Nous avons ainsi gagné sur le plan populaire.
Nous avons offert un document à toutes les parties, mais nul n’a voulu en discuter. Nous avons été attaqués de toutes parts et accusés d’avoir proposés un document syro-iranien. Et cela continue. Nous l’avons établi en trois langues, mais nul n’a voulu le lire. Pourtant, lors des séances de dialogue, les participants en ont pris certains points. Ce qui signifie bien qu’il est combattu à cause de nous, d’autant que l’autre partie continue à rechercher un accord avec le Hezbollah.
Q : Mais la suite des événements ne vous a-t-elle pas placé dans l’axe syro-iranien ?
R : Le document n’a pas une dimension régionale. Nous ne cherchons pas à résoudre le conflit israélo-arabe, mais à trouver un cadre d’entente libanais. Pour éviter d’éventuels dérapages, j’avais toutefois insisté pour ajouter deux points annexes qui exigeaient l’approbation des Libanais et de parties internationales : le renforcement de la Finul au Sud et la création d’un comité de surveillance comme en 1996 pour veiller au respect de l’application du document.
Q : Est-ce à cause de ce document que vous avez adopté une position favorable au Hezbollah lors du déclenchement de la guerre de l’été ? Vous vous sentiez lié ?
R : Lorsque la guerre de juillet a éclaté, il ne m’a pas fallu beaucoup de temps pour comprendre que c’était les chiites qui étaient visés. Toute une communauté libanaise était soumise aux bombardements et poussée à l’exode. J’ai réagi par conscience nationale. Face à l’indifférence de certaines parties libanaises et à l’appui tacite à l’agression de certaines autres, j’ai réclamé un cessez-le-feu immédiat et un retour aux négociations. J’ai même dit que je pouvais comprendre une opération de représailles israéliennes après l’enlèvement des deux soldats, mais que je ne comprenais pas la raison de cette guerre totale.
Q : Y a-t-il eu un contact entre vous et Nasrallah au moment du déclenchement de cette guerre ? Ne vous êtes-vous pas senti floué par lui ?
R : Quelques heures après l’opération, il m’a contacté pour me dire que le Hezbollah avait enlevé deux soldats. Pour nous, il s’agit de procéder à un échange de prisonniers, m’a-t-il affirmé. Je ne me suis pas senti floué puisqu’il avait lui-même déclaré à la table du dialogue qu’Israël ne rendra les prisonniers que si nous parvenions à en capturer de notre côté. J’ai aussitôt informé l’ambassadeur des États-Unis, qui m’avait demandé le matin même des précisions sur ce qui se passait.
Q : Mais vous n’étiez pas obligé de prendre une position aussi favorable au Hezbollah ?
R : J’ai agi par solidarité nationale et par conviction. Si je ne l’avais pas fait, il y aurait sans doute eu des troubles internes entre les chiites acculés, attaqués, isolés et révoltés et les autres parties libanaises. L’alternative à cette position était l’affrontement. C’est pourquoi nous avons très vite organisé des comités de soutien pour accueillir les déplacés. Ibrahim Kanaan m’avait contacté pour me dire qu’il y en avait un flot qui arrivait vers la région. Nous avons ensuite lancé des appels à l’aide à travers notre site Web. Mon souci était d’éviter toute discorde interne et tout comportement infantile à l’égard des déplacés. Car j’étais convaincu que le projet était de vider le Sud pour provoquer des troubles internes. J’ai alors lancé l’appel suivant : des années de guerre avec l’ennemi valent mieux que quelques heures de combats internes. J’ai aussi appelé à demander des comptes plus tard, lorsque la guerre sera terminée. Les gens ont commencé à réfléchir. Pour moi, les Libanais sont une famille et lorsqu’un des membres a un problème, il faut d’abord se solidariser avec lui. On lui demandera des comptes plus tard. C’est d’ailleurs ainsi que l’on rend un témoignage réel à la vérité du christianisme. Il n’y a qu’à relire l’évangile de saint Mathieu pour s’en rappeler.
Q : La guerre n’a-t-elle pas remis en cause le document d’entente ?
R : Pourquoi ? La résolution 1701 en a repris deux points : la question des prisonniers et celle des fermes de Chebaa. Les armes du Hezbollah y sont par contre placées sous la responsabilité des Libanais. Ce qui est conforme à l’esprit du document et s’il avait été accepté, nous aurions fait l’économie d’une guerre. Hélas, aujourd’hui, rien n’encourage à la paix. Israël menace ouvertement le Hezbollah et il est demandé à celui-ci de déposer les armes. À mon avis, ceux qui ont rejeté le document sont ceux qui ne veulent pas la paix. On critique les armes du Hezbollah et d’autres distribuent des armes à leurs partisans…
Q : Un an après, ne pensez-vous pas que ce document vous a fait plus perdre que gagner ?
R : Je ne vois pas les choses ainsi. Ce document est un pari sur mon pays et mon peuple. Il vise à semer la paix et l’amitié dans les cœurs et les esprits. C’est pourquoi je ne peux pas perdre. J’ai voulu bâtir la confiance entre les gens et je crois qu’un grand chemin a été accompli en ce sens. Aujourd’hui, on ne peut pas me demander de briser cette confiance.
Q : Mais n’avez-vous pas davantage donné que reçu ?
R : J’ai donné à mon pays, à l’avenir du Liban et à mon peuple. Et dans ces conditions, on ne calcule pas. J’ai fait un pari sur le rapprochement des communautés et j’aurais espéré que les autres suivent.
Q : Pourtant les Américains vous ont clairement demandé de revenir sur cet accord ?
R : C’est ce qui me pousse à me demander si les Américains ne souhaitent pas en fait créer un nouvel Irak au Liban. D’un côté, ils nous poussent à nous entendre et de l’autre, ils agissent différemment. Je crains donc qu’ils n’aient deux politiques, l’une officielle et l’autre cachée qui veut nous mener là où nous ne voulons pas aller. C’est pourquoi j’appelle constamment à une solution libanaise et je demande aux différentes parties de jouer cartes sur table. J’avais d’ailleurs proposé cela lors de la conférence de dialogue. J’avais même suggéré l’envoi d’une délégation parlementaire en Syrie pour lui présenter nos revendications pour que les positions soient claires, le gouvernement a combattu cette idée.
Q : Mais ne sentez-vous pas que ce document vous a placé dans le sillage du Hezbollah que vous suivez désormais ?
R : Je ne vois pas où est le suivisme dans ce document. Nous devons vivre avec les chiites, qu’ils soient vainqueurs ou vaincus. J’ai agi par conviction et c’est ma conscience que j’écoute car je suis un homme libre. J’espère que les autres agissent aussi avec conviction. D’ailleurs, lorsque les évêques sont venus me voir pour me proposer un document, je leur ai donné carte blanche. J’ai accepté l’initiative de Bkerké immédiatement car ma décision est libre. D’autres ont demandé du temps pour réfléchir. Même chose pour le pacte d’honneur que nous avons signé avec Frangié. On entend maintenant dire qu’il faut en discuter, etc. Comme si un pacte d’honneur était un traité.
Q : Justement au Liban, toutes les parties ont un appui étranger. Vous êtes le seul à ne pas en avoir. Ne vous sentez-vous pas le plus faible ?
R : Au contraire, je considère que le fait de ne pas avoir d’appuis étrangers est un signe de force. Je compte sur ceux que je représente et cela me suffit. C’est d’ailleurs pourquoi je dérange et je suis attaqué.
Q : On vous attaque aussi à cause de vos ambitions présidentielles.
R : Pourtant, tout ce que je fais aujourd’hui m’éloigne de la présidence. Celle-ci n’est pas un objectif pour moi, mais cela ne signifie pas que je dois renoncer à mon rôle et à mes convictions. J’ai une responsabilité à assumer face à ceux que je représente. C’est d’ailleurs pourquoi je suis soumis à une telle campagne de désinformation. Le but est de me neutraliser, ainsi que le Hezbollah. Les Américains veulent nous pousser vers la guerre civile, pour pouvoir se livrer en toute tranquillité à leurs projets dans la région. Avec leurs habituels préjugés, ils pensent que s’ils attaquent l’Iran, le Hezbollah va riposter. Et tout leur appui actuel à ce gouvernement unijambiste s’inscrit dans le cadre de la planification d’une guerre civile. Ils appuient un gouvernement qui réalise un coup d’État et a violé sept articles de la Constitution. Et c’est nous qu’ils accusent de vouloir déstabiliser le pays. Nous avons publié plus de 200 photos sur les incidents de la journée de grève, mais il semble que désormais la victime a moins de droits que le criminel.
Q : Justement, face à toute cette campagne n’avez-vous aucun regret ? Ne pensez-vous pas que la signature de ce document était une erreur ?
R : Je n’ai certainement aucun regret. J’ai agi selon mes convictions et ma vision de l’avenir du Liban. Si l’on pense que j’ai tort que l’on me sanctionne à travers des élections législatives anticipées. S’il y a une vraie démocratie au Liban, elles doivent avoir lieu car elles constituent une issue honorable pour tout le monde.
Q : Mais vous vous êtes aujourd’hui mis à dos la communauté internationale.
R : Vous savez, personne ne me donne de l’argent, ni les États-Unis ni l’Iran. Je suis un militaire à la retraite et donc un peu naïf. Je fais ce que je crois et je ne refuse de rencontrer personne. Je développe mes idées devant les ambassadeurs qui viennent me voir et je reste convaincu que la solution se trouve dans le document d’entente.
Q : Comment pouvez-vous concilier votre aspiration à un État de droit avec le maintien des armes du Hezbollah ?
R : Ces armes sont une réalité et elles avaient des raisons d’être là. C’est à partir de ce point que nous avons essayé de traiter cette question dans le document. Mais lors des conférences de dialogue, nous avons perdu beaucoup de temps et à la dernière réunion, j’avais posé la question suivante : les raisons qui avaient justifié les armes du Hezbollah se sont-elles dissipées ? Personne n’a voulu répondre. Si ces raisons n’existent plus, on pourra alors demander à Nasrallah de déposer les armes. Dans le document, nous avons essayé de proposer un cadre pour mettre un terme à ces raisons. On ne nous a pas suivis. Mais l’autre alternative, c’est la division.
Votre commentaire